Sur "De Pythagore à Lacan", par Norbert Bon, psychanalyste à Nancy

Après un premier trimestre catastrophique en mathématiques en classe de seconde (4/20 de moyenne), mon professeur à qui j'avais déclaré un définitif : "Je suis nul en maths" m'a interrogé et envoyé faire les exercices au tableau à chaque cours. Au second trimestre, j'avais une moyenne de 14 et en terminale, où j'ai découvert la théorie des ensembles et les probabilités, j'avais le premier prix de mathématiques. Malheureusement, c'était en 1968 et il n'y a pas eu de distribution des prix. C'est pas juste non ?

Je demande pardon à l'auteure de mêler ainsi mes petites histoires à celle des mathématiques qu'elle nous propose à l'usage des psychanalystes mais c’est qu’elle prend le lecteur par la main, à l’instar de ma charmante institutrice de CP, pour nous promener des grottes du paléolithique à l’ombre des pyramides et nous rappeler l’histoire des nombres, ceux qui servent à compter les bonbons chez le marchand, puis ceux qui ne servent pas à compter : les irrationnels ainsi nommés pas seulement parce qu’ils sont bizarres mais parce qu’ils sont le résultat d’un rapport impossible, une division qui n’en finit pas, imprévisible, au grand désespoir des pythagoriciens : √2, ça tombe pas juste... Pas plus d’harmonie dans l’univers qu’entre les sexes. Et puis Ф, π,... qui ont servi à Lacan pour situer l’objet a. Car l’auteure ne fait pas que nous guider dans une visite de la diagonale de Cantor, la suite de Fibonacci, l’infini actuel, l’indécidabilité de Gödel, elle en montre la pertinence dans ce à quoi à affaire la psychanalyse et la sous-jacence dans les élaborations et les formalisations de Lacan : le phallus, l’objet a, la coupure, le discret du signifiant et le continu de lalangue et la nécessaire sortie de l’espace euclidien qu’elles impliquent. Si bien que, si les psychanalystes se trouvent éclairés dans leur fréquentation de l’inconscient par les mathématiciens, à l’inverse, on peut penser que « les mathématiciens symbolisent à leur insu l’ordre dont ils pâtissent en tant que parlêtres... » Echecs dramatiques compris, dont celui de Cantor avec l’hypothèse du continu : abominable problème qui ouvre une brèche dans le champ mathématique, brèche que Gödel bordera d’un garde-fou avec la notion d’indécidabilité. Rappelons le projet du livre : « Au-delà de toutes les difficultés liées à la compréhension des mathématiques et de la psychanalyse lacanienne, ce livre a pour ambition de rendre possible leur tissage. » Pari risqué et réussi. Ballade éclairante dans la forêt des chiffres et des lettres à conseiller sans restriction aux psychanalystes lambda !

Nancy, le 22 février 2017