Sur l'amour chrétien par Jorge Cacho. Conclusion juin 2010

 

Mathinées Lacaniennes, 19 juin 2010.

Table ronde avec débat animé par Jorge Cacho

Henri Cesbron Lavau : Nous allons démarrer notre table ronde. Personnellement, j’ai un point à l’infini qui est un peu rapproché, c’est qu’à midi je dois partir.

À la demande d’un certain nombre, a été mise en place la possibilité de se réunir pour faire de la topologie, sous forme d’un groupe, dont l’esprit est de fonctionner à l’image de ce qu’est un cartel. Alors pour avoir participé à de nombreux cartels, je peux vous dire mon expérience. C’est que dans un petit groupe, il y en a souvent « un » en trop, il y a celui dont on aimerait qu’il ne soit pas là... [Jean Périn : En général, c’est moi !] (Rires !). Bon ! Jean se propose à cette fonction... À cette question-là, Lacan a répondu – au moment où les cartels ont été mis en place –, par le plus-un. Le plus-un, c’est celui dont l’acceptation par le groupe fait qu’il y a une possibilité pour le groupe de se mettre au travail, et un travail qui n’est pas uniquement d’échange de savoir, mais qui est de saisir cette possibilité d’en faire quelque chose dans le champ analytique. Alors si je parlais de l’un-en-trop, c’était simplement quelques fois l’expérience que j’ai pu avoir, et ce n’est pas en rapport avec ce que je vais dire là maintenant.

Nous avons demandé à Nicole Mercier – nous la remercions d’avoir accepté – d’être pour ce groupe, le plus-un. Dans un groupe de topologie, c’est autant ce qu’on arrive à faire, que ce qu’on n’arrive pas à faire, qui est le point du travail, c’est aussi bien ce que l’autre arrive ou n’arrive pas à faire qui offre cette possibilité de travail. Le groupe se réunit donc avec Nicole Mercier ; Virginia, tu vas y aller quelques fois ?

V. H. : Oui, Nicole m’a conviée, je serai des vôtres la prochaine fois.

H.C.L : J’encourage vivement ce travail, voyez avec Nicole ce qui en est possible.

Table ronde

Virginia Hasenbalg : En parlant avec Jorge, on a voulu mettre l’accent sur les questions que nous posent ce Séminaire, difficile bien sûr, et dont on ne peut pas parler avec beaucoup d’aisance.

Alors... j’ai deux, trois questions, je vais commencer par la première. Je passerai après la parole à Jorge, et si on a le temps, je développerai le reste. Je ferai un aveu, l’aveu de la résistance que provoque, chez moi, ce Séminaire. On a parlé de dix ans de formation, moi ça fait trente ans que je lis Lacan, et plus le temps passe, plus je me rends compte qu’il y a dans le rapport au savoir qui découle des Séminaires de Lacan, un certain type de résistance, très particulière, une difficulté à se mettre dans le travail de lecture et à rentrer dans son étude. Si je parle de cette résistance au savoir, c’est ma façon de comprendre ce que Lacan dit du je n’en veux rien savoir. Et il dit quelque part : « quand vous vous arriverez à ce je n’en veux rien savoir – le sien de Lacan –, vous allez pouvoir me quitter si vous êtes l’un de mes analysants ». Alors je vais essayer de vous dire ce que j’entends par là et voir si ça vous parle aussi.

Pour moi, Lacan dans ce savoir-là, évoque ce qu’il en est de se rapprocher de la vérité, avec le savoir. Et plus on avance dans le savoir, plus on avance... – c'est l'image des cercles concentriques de la résistance chez Freud – plus on s’approche de la vérité avec le savoir, plus on résiste, et c’est ça qui fait pour moi, un point, une question.

Alors qu’est-ce que c’est que cette vérité ? Je dirai : c’est la vérité du non rapport. Pour moi c’est simplement, à première vue, le fait qu’un homme et une femme, même s’ils sont en couple, même s’il y a du désir, et même s’il y a de l’amour, ils sont chacun dans leur propre film personnel, à leur place dans un discours et dans des places qui ne sont pas symétriques.

Il y a là une dissymétrie foncière dans les places à occuper, le prototype étant ces positions masculines et féminines, mais cela se joue aussi dans le rapport aux autres, il y a toujours cette altérité foncière qui nous sépare. Alors cette vérité du non rapport, si on veut aller un peu plus loin que cette description imaginaire, je me l’explique avec ce que dit Melman, avec cette distinction qui pour moi est fondamentale et qui m’éclaire beaucoup dans la lecture de ce Séminaire, c’est cette distinction qu’il fait entre la structure et l’Œdipe. Il dit l’Œdipe, c’est une façon de se défendre de la structure. Il était question de fiction tout à l’heure, quelqu’un a parlé de la fiction. Melman parle de l'Oedipe comme étant une fiction –, mais c’est une fiction nécessaire, indispensable, celle en fin de compte, de l’opérateur phallique, du phallus, c'est-à-dire cette nécessité, pour nous qui sommes des occidentaux, monothéistes, parce qu’il faut faire la distinction, marqués donc par la lettre, et par la lettre alphabétique, on est structuré, on est pris dans cette organisation qui est l’Œdipe et qui est une façon de nous défendre de la structure.

Ce sont des choses que Melman aborde dans le séminaire du Refoulement et déterminisme des névroses, je vous convie fortement à le lire, parce que – de quoi s’agit-il ? – de pouvoir saisir à travers cette fiction, nécessaire, car si on n’est pas dans la fiction nécessaire du phallus, on est dans le mythe individuel du névrosé. Et là, on est dans la revendication, et on n’en sort plus, car on est là à expliquer la souffrance au travers de traumatismes singuliers, personnels, uniques et originaux, alors que nous savons que nous sommes tous, en dernière instance, marqués par ce traumatisme fondamental, c’est-à-dire la façon dont le trou, le manque, la perte s’articulent autour de ce signifiant phallique ou de cette fonction phallique, qui est le centre du schéma de la sexuation. Je ne sais pas si vous me suivez dans ce que je dis, mais il me semble important d’avoir ce repère pour pouvoir peut-être, comprendre ou sentir quelque chose, de ce que Lacan dit, par exemple par rapport au féminin, « “la” femme est pas-toute, parce qu’il y a toujours quelque chose en elle qui échappe au discours », toujours quelque chose en elle qui échappe donc à la fonction phallique. La femme qu'il décrit comme "exclue de la nature des choses qui est la nature des mots". Alors vous savez que toute la question du symbolique, du signifiant, c’est d’introduire une négativisation du monde sensible, du monde des choses, de la substance, de la matière, à partir du moment où on est dans le langage, tout ce qui est monde naturel de l’ordre physique, de ce qui est palpable, doit s’évanouir, doit être négativé ; plutôt, ce monde sensible, ce qui est palpable, découle de cet effet du signifiant. Alors ce que Lacan nous dit, c’est que la femme est exclue de la nature des choses qui est la nature des mots, que quelque chose en elle échappe au discours.

Il y a là donc quelque chose que Lacan semble nous dire sur le féminin, comme étant en extériorité par rapport au symbolique, c'est-à-dire comme relevant du Réel, puisque de cette extériorité on ne peut rien dire. Avec le savoir on essaye de la border, on essaye de voir quelles sont les limites que le savoir peut cerner, mais c’est une extériorité dont on ne peut rien dire, et pour cause parce que c’est extérieur au signifiant. C’est un hors langage. C’est un petit peu ça que je visais, là, je triche un petit peu, parce que ce hors langage, dans le Séminaire, il va venir plus tard : par rapport à la jouissance phallique, il y a la jouissance Autre comme étant un hors langage. Alors, ce réel concernant ce féminin ou ce côté droit du schéma de la sexuation, Lacan va le définir comme étant de l’ordre de la jouissance. C’est-à-dire cette jouissance de l’Autre, du grand Autre incarné par une femme au travers de son corps. Vous me direz si… — je fais un raccourci là, une simplification de ce que dit Lacan, c’est ma lecture, mais justement une jouissance que Lacan définit comme étant au-delà de la jouissance phallique. Il y a une exigence logique à dire que cet Autre là n’est pas quelqu’un, c’est là la difficulté de la condition féminine, n’est pas quelqu’un, puisque pour être, pour reprendre la dimension de l’être qu’on a tant travaillé les fois précédentes, pour être quelqu’un, il faut s’inscrire dans le symbolique. On est en train là d’essayer de cerner quelque chose qui serait dans une extériorité par rapport au Symbolique. Il y a donc vous voyez tout ceci, tout un commentaire du dernier paragraphe de la première leçon, dans ce séminaire où Lacan, c’est la fameuse phrase : « La jouissance de l’Autre — du corps de l’autre qui Le symbolise, n’est pas le signe de l’amour [...] Il n’est pas le signe et c’est néanmoins la seule réponse »[1]. Le compliqué, c’est que la réponse est déjà donnée au niveau de l’amour.

Je vous convie à relire ces phrases comme étant à mon avis la reprise par Lacan, de ce fameux texte de Freud sur le ravalement de la vie amoureuse, chez Freud c’est simple, là où l’homme désire, il ne peut pas aimer, là où il aime, il ne peut pas désirer, ... comme étant une problématique proprement œdipienne. Il me semble que Lacan reprend ça, parce qu’il va parler de cette jouissance, cette jouissance de l’Autre comme étant la seule réponse, dans le registre de l’amour, mais il va bien faire la distinction entre ce qui relève de l’amour, et ce qui relève du désir et de la jouissance. Il va dire l’amour c’est une passion qui peut-être l’ignorance de ses désirs, vous voyez, en séparant les choses. Je situe là ce que je disais au départ sur le non rapport sexuel, sur la distinction entre l’Œdipe et la structure, telle que Lacan nous l’amène, je crois que la dimension de l’amour, de la demande d’amour se situe au niveau œdipien comme étant une fiction indispensable, nécessaire, fondatrice et apaisante, mais que la question de la jouissance, du désir qui la conditionne, est peut-être à situer dans quelque chose qui se trouve au-delà de l’Œdipe, parce que l’Œdipe est justement ce qui vient empêcher le nouage possible entre l’amour et le désir, entre l’amour et la jouissance sexuelle.

Je vais m’arrêter là, c’est ça ma question. Si vous avez des questions, des remarques, Jorge peut-être ?

Jorge Cacho : Moi je trouve qu’il y a beaucoup de questions. Cette difficulté effectivement, par laquelle tu as commencé, c'est-à-dire la résistance, - encore que Lacan distingue, d’un côté l’ignorance comme résistance et de l’autre côté l’ignorance comme passion; ce n’est pas pareil, la passion de l’ignorance. Le statut de la passion est un statut particulier puisque, et c’est la question qu’en t’écoutant, je me suis posée : est-ce que, si nous prenons la voie de l’ignorance comme passion, pas seulement comme résistance, encore qu’on peut supposer que la passion est une résistance, mais ce qui est vrai de la passion d’un point de vue clinique, prenez n’importe quel délire passionnel, c’est que du fait que la passion n’est pas dialectisable, elle fait apparaître la vérité sous un mode qui n’est pas celui où elle devrait apparaître généralement chez nous : c'est-à-dire mi-dite. Là, elle apparaît toute.

C’est impossible de ne pas la reconnaître. Et elle apparaît toute, puisqu’il est impossible de la dialectiser. Voilà des choses qui, chez Lacan, sont très subtiles, et cliniquement je pense assez importantes, ce rapport entre savoir et vérité, qui dans l’écriture des discours apparaît comme impossible — le rapport entre eux. C'est-à-dire que là où il n’y a d’autre vérité du savoir que l’insu, c’est ça la vérité du savoir inconscient. De toute façon, c’est un rapport au savoir, puisque c’est un rapport au savoir en tant que “insu” ; mais est impliqué dans le signifiant “insu” : le savoir comme négativé. Si nous revenons à ce que nous voulons reprendre, dans le rêve par exemple, la question de l’ombilic, c’est un savoir, mais c’est un savoir impossible, un savoir interdit. Voilà une des questions que je me posais en t’écoutant : cette résistance au savoir, est-ce que c’est de l’ordre de la résistance, est-ce de l’ordre de la passion, est-ce que c’est de l’ordre d’un réel ? — cette résistance a affaire au réel d’un savoir insu en tant que tel.

V. H. : En t’écoutant Jorge, me vient le mathème du discours analytique,

J. C. Voilà, tout à fait.

V. H. Je me retenais pour ne pas l’écrire...

J. C. Oui, mais vas-y !

V. H. ... où justement le savoir, il est à la place de la vérité pour soutenir...

J. C. Oui, mais en tant que non su...

V.H. ...

J. C. Il est sous la barre.

V. H. Il est sous la barre, mais en tant qu’analyste, je crois qu’on est convoqué là...

J. C. Sûrement.

V.H .... mais il y a dans le Séminaire une remarque de Lacan qui parle de la position analytique comme étant le support de ce savoir, pour que le “petit a” puisse tenir dans le dispositif analytique. Alors, je sais que je suis passionnée, Jorge, mais je ne sais pas si c’est la passion de l’ignorance ?!

Intervenant : Dans le discours psychanalytique, Lacan nous dit que la position juste du “petit a”, comme semblant, c’est d’interroger la vérité comme du savoir, ce qu’elle n’est pas.

J. C. : Oui parce que sinon nous sommes... je crois qu’il y a une tendance dans certains courants psychanalytiques, surtout peut-être bien de la psychanalyse freudienne, mais même, une certaine tendance à l’intérieur du lacanisme, à penser que la vérité peut être dévoilée. Et c’est très moderne, c’est-à-dire que le sujet peut être dévoilé...,

V. H. : La transparence et le signifiant sont là dans le discours social

J.C. ... mais ça répond à une logique. Nous pouvons la critiquer mais il faut la fonder, sur quoi elle se fonde ? Cette idée que le savoir ne serait pas que l’idéal du savoir, et ça on le voit bien dans le dispositif de l’enseignement par exemple, j’ai eu la chance d’enseigner pendant des années et de voir comment ça s’est transformé, c’est passionnant, l’introduction de ce savoir lié au conductisme, c’est-à-dire que là nous avons affaire à un supposé savoir – pas celui de Lacan – mais un savoir supposé en tant que nécessaire à dévoiler dans son essence, dans son fondement même, avec le ménage que ça suppose...

H.C. L. : Est-ce que tu le situes du côté du Discours Universitaire, alors ?

J. C. : Tout à fait, le Discours Universitaire est en train de ne plus exister à mon avis.

V. H. : En tant que discours...

J.C. : En tant que discours, par l’invasion du « savoir », entre guillemets, conductiste, réflexologique en fait, pavlovien. Regardez les institutions qui avant étaient supposées enseigner la psychanalyse à l’Université, c’est en train de..., je croyais que Censier était encore un des piliers ! mais l’autre jour j’ai eu l’occasion de rencontrer – j’ai fait partie de cette université comme collaborateur et à l’époque c’était le discours non seulement analytique, mais lacanien même qui prédominait –, des ex-collègues, qui étaient déprimés, parce qu’ils subissaient, disaient-ils, la disparition de ce discours; cela produisait des effets dépressifs. On pourrait dire qu’ils n’étaient pas suffisamment courageux, mais il arrive un moment où...

V. H. Il n’y a pas de place pour le sujet dans ce type de dispositif !

J.C. Alors voilà une des formes de passion de l’ignorance qui est à mon avis tout à fait différente de ce que Lacan appelle « la passion de l’ignorance ».

H. C. L. : Ce savoir-là, tu l’appelles conductiste, ou cognitif, c’est ça ?

J. C. : C'est-à-dire que c’est là où prédomine ce savoir qui consiste à adapter le sujet, à faire du sujet une sorte de… exactement la formule classique de la réflexologie : « la réponse est fonction de la stimulation » ! C’est ça le sujet. Le sujet, c’est la réponse... Il suffit de le stimuler comme vous voulez, ça produira un sujet différent. L’enseignement, c’est une forme de stimulation dans cette idéologie, ce que les enfants subissent actuellement.

Intervenant : Dans la mesure où on n’est pas tous inscrits dans un fantasme, qui est déterminé, enfin, chacun le sien, mais qui est en quelque sorte fixe, même s’il est évolutif, cette fonction, ça va produire forcément un symptôme, parce que ça va aller à l’encontre du fantasme de ce cas.

J. C. : Oui, mais ces symptômes seront traités selon cette idéologie. C’est le traitement de la thérapie conductiste. Alors qu’est-ce que ça vous donne ça ?

Intervenant : Oui alors la question c’est : qu’est-ce qui se passe au bout ?

Thierry Florentin: Pourquoi dites-vous “conductiste”, Jorge ? parce que c’est très intéressant ce terme-là.

J. C. : Oui, parce que on l’a appelé comme ça ? Vous l’appelez autrement ?

V. H. : Comportementaliste.

T. F. : « Conductiste », c’est un terme que je ne connaissais pas..

V. H. : C’est un hispanisme, mais qui est en effet très pertinent.

J. C. : Oui, c’est la théorie pavlovienne, dont la formule est très simple et très efficace, puisque ça a à voir – non pas au sujet –, mais à quelqu’un dont la conduite, le mode de se conduire doit répondre à cette formule. Ça ne s’adresse pas à un sujet, ça s’adresse à une manière de se conduire qui est statuée, donc ça s‘adresse aux masses, nous connaissons, c’est le fonctionnement massif de ces formules.

H. C. L. : Et ça s’adresse, c’est justement ce qui est caractéristique, aux autres, et que ces théories sont menées par des personnes qui ne s’interrogent pas en quoi elles sont elles-mêmes conduites. Elles s’excluent de la théorie, cette théorie est pour les autres et là il y a la tonalité des échanges, quelque chose de très différent entre ce champ qui va écrire pour les autres, c’est-à-dire en étant hors champ soi-même. L’expérimentateur est hors champ. Et puis le travail et notamment, grâce à la topologie de Lacan que nous faisons, dans laquelle l’analyste n’est pas hors champ. Il est bien dedans, ce qui fait qu’il est très difficile d’ailleurs de faire théorie dans la psychanalyse. Il faut des hommes exceptionnels pour pouvoir arriver à théoriser quelque chose dans lequel ils sont eux-mêmes pris. Et théoriser d’une façon qui en rende compte.

J. C. : C’est très important d’évoquer cette question, parce que c’est un nouveau mode de résistance... [Tout-à-fait.], qui est très difficile à manier.

Intervenant : Cela a été l’objet du week-end passé, dans l’association, la question a été largement évoquée, de la même manière que vous, mais moins rassemblée que votre approche, mais ça été dit de la même manière et ce que vient de dire Henri aussi…

Jean Périn : C’est curieux, parce que Pavlov...

J. C. : Non, d’abord je ne veux pas que ça se dévoile, enfin... mais je l’ai présenté comme la résistance dans la modernité, mais pas pour faire maintenant un discours sur...

V. H. : Je voudrais ajouter quelque chose, parce que ce qui à mon avis découle de ce qu’on peut interpréter de cette modalité que tu décris, c’est la prétention d’une exhaustivité du savoir, comme si le savoir pouvait vraiment venir à bout de la vérité, la faire disparaître en tant que telle. Alors que ce lieu de la vérité..., je t’écoutais et je pensais à ce qu’avait dit Henri ce matin, par rapport à cet oubli nécessaire que comporte l’advenue de la lettre. Comment dans la lettre il y a un passage qu’on doit laisser de côté... et j’ai envie de situer là un moment de vérité qu’on ne peut pas avoir tout le temps présent à l’esprit. On rentre dans la lettre, on opère avec des lettres, on symbolise avec des lettres, mais la lettre a une histoire que tu as bien décrite, parce que tu l’as décrite comme étant de l’ordre d’un temps logique et pas d’une historicité, dans le temps, avec le passage à vide nécessaire pour qu'elle advienne.

Je crois que si Lacan insiste dans les derniers séminaires sur les mathématiques, c’est parce que les mathématiques, en démontrant l’impossible, à partir du jeu de lettres elles-mêmes, vont servir à Lacan pour donner au réel un statut qui va rendre possible le nouage. Je ne sais pas si je me fais comprendre. Je pense à la façon dont les mathématiques démontrent l’incomplétude: Cantor, Gödel, etc. C’est là où Lacan va s’appuyer pour dire : du réel il y a. Il y a un réel, il est démontré ce réel comme ce qui redonne sa place à cette vérité dont on ne veut rien savoir.

H. C. L. : Ce qui est paradoxal, c’est que le savoir aujourd’hui, les savoirs, nous apprennent plutôt l’étendue de notre ignorance. Quand on pense qu’on ne connaît de l’univers que, je ne sais plus si c’est 15%, enfin c’est quand même, étonnant de continuer à fonctionner dans le champ de la connaissance avec cette idée de tout couvrir aujourd’hui. Et il est probable que cette approche conductiste apparaîtra dans les générations futures comme l’obscurantisme de notre époque.

J. C. : C’est vrai qu’on n’est plus dans l’univers des Lumières, l’Aufklärung, ni de l’humanisme. On écrit beaucoup sur le post-humanisme, qui a à voir avec. Lacan était un homme de l’Aufklärung.

Intervenant : Une remarque, on a dit tout à l’heure : « il y a plusieurs réels » et moi je suis choqué par votre assertion que le modélisme suffirait à prouver l’incomplétude, il n’en prouve qu’une, c’est l’incomplétude de tout système formel syntaxique ; mais l’incomplétude sémantique, c’est celle qu’on vit avec notre corps, qui est une deuxième incomplétude, c’est le mystère du corps parlant, c’est le fait que le signifiant nous marque, et donc celle-là, elle n’est pas accessible à la démonstration mathématique, et on peut faire tous les théorèmes qu’on veut, on n’arrivera jamais à cette perte que représente l’objet a, une fois qu’il nous a quittés.

Autre intervenant : Mais ce qui est intéressant quand on lit Gödel mais ça mérite qu’on prenne beaucoup de temps, on voit qu’il était sur cette même longueur d’onde. Il est parti justement de Hilbert pour arriver à quelque chose d’autre, ça lui a d’ailleurs coûté beaucoup de choses, beaucoup de temps et beaucoup d’inimitié. Je crois qu’il était sur la même brèche que nous, si on veut bien le lire mais c’est assez compliqué.

J. C. : Oh, c’est intéressant le fait qu’il y ait une incomplétude à différents degrés.

V. H. : Il y a deux théorèmes.

Intervenant : Ce n’est pas rien que deux théorèmes, c’est toute sa recherche après qu’il ait établi son théorème de l’incomplétude, il n’a pas cessé de chercher autre chose et c’est dans le même sens que Freud et Lacan.

J. C. : S’il y a d’autres questions à partir de ce que Virginia nous a apporté.

V. H. : Tu n’as pas dit tes questions, j’ai été trop bavarde encore une fois...

J. C. : Non, non, c’est très important, comme position.

Pour ma part, c’est très simple, ma question, je vais vous dire, je vais essayer de vous dire ce qui m’a intéressé et comment j’ai essayé – j’allais dire « de progresser » mais j’ai peut-être « régressé » ! peu importe à la limite –, d’avancer. C’est une question que j’avais posée à la première réunion que nous avons eue ensemble. Il me semble que ce Séminaire, parmi les questions fondamentales pose bien sûr celle de l’être, qui a été souvent abordée dans ce groupe par mes collègues et amis, et puis la question de l’amour, que tu as évoquée, et qui est d’une énorme complexité dans ce séminaire. Je voudrais dire quelque chose là-dessus – en m’appuyant sur tout ce que Lacan, dans ce séminaire, dit sur l’amour et, après, j’essaierai de vous dire pourquoi Lacan aborde l’amour de cette manière. Quelle est la raison finalement ?

C’est que, dès les premières pages c’est-à-dire les pages 14, 56, 64 etc., il y a des choses fondamentales qu’il va reprendre par la suite. Par exemple : La jouissance Autre, que tu as évoquée à la fin de ton propos, la jouissance Autre n’est pas un signe de l’amour, il ne dit pas : ce n’est pas le signe de l’amour. Ce n’est pas un signe de l’amour. Autrement dit, il y en a plusieurs signes de l’amour. Et ça, c’est très important. Pourquoi ? Parce que pour Freud, il n’y a qu’un signe de l’amour, qui est l’amour en tant que narcissique, il n’y en a pas d’autres. Lacan, d’abord, met en relation, à nous de voir – tu l’as évoqué mais n’a pas pu le traiter –, la relation entre jouissance et amour. Il ne dit pas qu’il n’y en ait pas, une relation, il dit que l’amour ce n’est pas un signe, pardon..., que la jouissance n’est pas un signe de l’amour. Mais il les met en relation – jouissance et amour –, choses qui chez Freud avaient été radicalement séparées. La jouissance sexuelle et l’amour, comme il le dit dès le début, autrement dit dès les Trois essais, sont deux courants qui doivent se diviser. Et cliniquement ça apparaît de telle manière que la vérité saute aux yeux : chez l’obsessionnel, pour qui cette division, ce n’est pas une division ; ça n’a jamais – semble-t-il – été uni ! Les deux courants n’ont jamais eu un point de connexion. On pourrait aussi l’entendre comme ça, à la différence d’autres névroses.

Donc, c’est la question permanente de Lacan d’insister sur le fait que l’amour est un signe ; et il le dit, non seulement que la jouissance n’est pas le signe de l’amour, mais après, sur l’amour, il dit qu’il est un signe. Mais est-ce que ce n’est qu’un signe ? C’est la question que nous pouvons nous poser. Et surtout, quel signe est-il ? Il est le signe de quoi l’amour ? Est-ce qu’il est le signe de ce lien – comme Freud l’a toujours soutenu et affirmé – est-ce qu’il est le signe d’une modalité relationnelle à autrui qui est basée, fondée sur le narcissisme ? Autrement dit : l’autre en tant que mon double, celui sur lequel j’investis parce qu’il me représente dans ce qu’il y aurait d’idéal chez moi, d’idéal du moi?

Vous voyez bien comment Freud, dans la question du narcissisme, fait jouer les trois instances, la division du Moi entre le moi proprement dit, l’idéal du moi et le moi-idéal, qui pour lui avaient le même statut narcissique, alors que Lacan – comme nous le savons, dès les premiers Séminaires – va distinguer radicalement l’idéal du moi et le moi idéal, comme appartenant à deux registres hétérogènes : le Symbolique et l’Imaginaire. Lacan revient sur cette question, sur cette insistance comme quoi l’amour est un signe. Mais un signe de quoi ? Eh bien continuons, parce que c’est la question que je me posais. D’abord : l’amour est un signe, mais de quoi ? et deuxièmement : est-ce qu’il n’est qu’un signe ? Ça me semblait un peu court (rires) et je vous dirai pourquoi, plus tard.

C’est que Lacan a toujours établi la distinction entre signe et signifiant. Et pour la première fois dans son enseignement, que je sache, c’est la première fois que dans ce Séminaire il va subvertir le statut du signe, à partir de quoi ? À partir de l’exemple de la théorie du signe la plus classique, celle des Stoïciens, dont un des multiples exemples est celui-ci, que vous connaissez tous : Il n’y a pas de fumée sans feu. Autrement dit, la fumée est le signe du feu. S’il y a de la fumée, c’est qu’il y a du feu ? Et Lacan va complètement subvertir cette définition et il va dire : s’il y a de la fumée, c’est qu’il y a un fumeur. Autrement dit : il y a un sujet. D’où la transformation du statut du signe, et donc de l’amour, puisque l’amour c’est un signe. C’est un signe, qui vise quoi ? Ce que vise le signe, c'est-à-dire le sujet. Enfin, c’est l’articulation sur laquelle on reviendra après, si vous le voulez bien.

Intervenant : Pourquoi ?

Jorge Cacho : Parce que c’est complexe, on ne peut pas là en discuter. Il y a aussi..., c’est madame Lemaire qui est là, qui a fait ce travail considérable sur la Logique de Port-Royal [2], travail tout à fait intéressant, que je vous recommande, où apparaît dans cette théorie de Port-Royal le statut du signe, mais en tant que disjonction de deux substances, la substance pensante – la division cartésienne –, la pensée et l’étendue. On est dans cette conception du signe, telle que Maryvonne a très bien développé son texte, et on voit bien que là le signe est lié, non à l’écriture, à la trace, mais à la substance. C’est ce que fera Lacan, c’est justement débarrasser le signe de toute substance. C’est pourquoi Lacan fait appel à la théorie des signes de Port-Royal en tant qu’elle relève d’une conception substantialiste du signe, qui est strictement, je ne dirai pas opposée, mais strictement hétérogène à la conception, à la manière dont Lacan aborde le signe c'est-à-dire en tant que signe d’un sujet, pas d’une substance. Alors que le sujet est défini par Lacan, y compris dans le Séminaire Encore, comme celui qui est représenté par un signifiant, pas par un signe, auprès d’un autre signifiant. Je ne fais que relever la complexité de cette élaboration de Lacan dans ce séminaire, c’est pourquoi il est difficile de suivre, si on essaie de cerner les choses de près. Et il y a énormément de choses à dire. Il affirme et c’est un point qui me semble fondamental, que l’amour, en tant que signe, implique une nouvelle définition du signe, au fait qu’il fait signe de quelqu’un, d’un sujet, en tant qu’ek-sistence, ce n’est pas en tant qu’il est, qu’il participe de l’être, mais en tant qu’il ek-siste.

V. H. : C’est à la page ?

Jorge Cacho : À la page 96. Il ne le dit pas exactement comme ça. Et il dit encore autre chose, c’est que l’amour est signe, non seulement signe, pp.55-6, l’amour est signe pointé de ce qu’on change de raison, et puis il parlera en essayant de développer cette question de la raison. Il s’agit de quelle raison ? Ce n’est pas la raison aristotélicienne bien sûr, puisque la raison aristotélicienne est liée strictement à la question de l’être. C’est donc un signe pointé de ce qu’on change de raison, autrement dit, il affirmera ça un peu plus loin, c’est qu’on change de discours. C’est le changement de discours dont l’amour est signe. Et je rajoute, en suivant Lacan, je ne fais que suivre ce qu’il dit, et je vous donne les pages, c’est que c’est un signe de changement de discours, alors que tout changement de discours, dit-il, dans ces pages, tout changement de discours est, produit, disons, et permet l’émergence, n’importe quel discours émerge à partir du discours analytique. C’est l’analytique qui fait que les autres discours émergent. Donc si l’amour est le signe du changement de discours, on peut nécessairement, logiquement, considérer que l’amour est interne au discours analytique.

Alors, où il est inscrit dans ce discours ? Parce que pour Freud, l’amour est l’équivalent de l’analyse. L’analyse, c’est le transfert. Pour Freud, il n’y a pas d’autre définition de l’analyse. L’analyse, c’est l’analyse du transfert. Et le transfert, c’est quoi ? Le transfert, c’est l’amour. Non seulement le transfert, c’est l’amour, mais le transfert, dit Lacan, c’est le seul vrai amour.

Autrement dit, l’amour du transfert – pas un autre amour – est celui qui a le rapport le plus étroit à la vérité, chose que tu as posée. Pourquoi ? Nous pouvons nous poser la question – ce serait un débat aujourd’hui. C’est une question qui me semble importante – en quoi l’amour a ce lien au Discours Analytique ? Et est-ce qu’il est dans une des quatre places, est-ce qu’il se déplace d’un lieu à l’autre ? Quoi qu’il en soit, nous savons par Freud – et Lacan ne l’a pas démenti – que l’amour du transfert, pas n’importe quel amour, est le vrai amour, autrement dit celui qui dit la vérité sur l’amour. Lacan disait, au début de son enseignement, de l’amour de transfert, qu’il était d’un côté la plus grande résistance – tu en as parlé –, que c’était une résistance pour l’analyse, et en même temps que c’était le moteur de l’analyse, donc qu’il fallait le soutenir, d’une manière dosée et selon la situation du patient bien sûr.
Lacan ne définit pas le transfert par l’amour, Lacan définit le transfert par le savoir supposé au…

Virginia Hasenbalg : Dans le graphe du désir, il va situer les deux chaînes signifiantes, et il va situer le transfert comme étant une demande d’amour...

J. C.. : Comme demande, ce qui est autre chose ...

V.H. : ... demande d’amour, qu’il faut accueillir

Jorge Cacho : Demande d’amour. Il y a l’amour, mais la demande d’amour, c’est ce qui révèle justement, dans l’analyse, dans l’amour du transfert, disons, la vérité de l’amour, c’est-à-dire qu’elle n’a pas de limite parce que l’amour demande… il n’y a pas de frontière à l’amour ; l’amour demande l’amour. Et pourquoi l’amour demande l’amour ? Parce qu’il y a ce lien entre l’amour du transfert, selon Freud, et cette question de l’unien. Le Un comme unien. Autrement dit, cette tendance de l’amour à faire Un avec l’autre, étant donné qu’il y a là un impossible du rapport, eh bien, l’amour demande toujours l’amour.

C’est donc l’amour comme signe du changement de discours et que donc dans ce changement de discours, il y a toujours quelque émergence du discours analytique. Vous trouvez ça à la page 56 .Et donc nous pouvons légitimement mettre en relief le lien particulier de l’amour avec le discours analytique. Je ne sais pas comment. Ce serait à voir.

Un autre point qui me semble important et que j’ai déjà évoqué, c’est que l’amour, comme dit Lacan vise – il dit des choses qui sont apparemment assez contradictoires, et que j’essaierai de voir un peu – il dit que l’amour vise le sujet mais avant, à la page 96, avant, dans une autre page que je retrouverai, j’espère, il dit que l’amour vise l’être. Alors, est-ce qu’on peut supposer qu’il vise l’être du sujet ? Et cliniquement, cela ne me semble pas incohérent, parce que nous voyons par exemple l’identité chez des patients, l’identité entre aimer et capturer, par exemple. Autrement dit, arriver à ce noyau qu’il y aurait dans l’autre et qui le constitue comme tel. C’est ce qui apparaît très bien dans le Séminaire sur le Transfert, dans la dernière séance, dans ce dialogue tragique entre Socrate et Alcibiade, où Socrate dit à Alcibiade : « Mais, écoute, tu te trompes, ce n’est pas moi qui ai cet objet, cet être, cet agalma. »  Cet être, nous pouvons penser, qui fait que l’autre soit si merveilleux, qui le constitue, qui le tient, ce n’est pas moi qui l’ai, c’est l’autre. Donc, il y a ce rapport entre  le signe de l’amour vise le sujet et vise l’être. Lacan va dire à un certain moment, là, c’est encore autre chose, que la haine aussi vise l’être. Donc, est-ce que nous sommes dans le dispositif freudien de considérer que la haine et l’amour sont ambivalents, c’est-à-dire qu’on passe de l’un à l’autre ? Lacan laisse entendre ça quand il fait l’écriture de hainamoration, sans coupure... Il n’y a pas d’amour sans haine. Si ce n’est que dans ce lien de la haine à l’être, Lacan va faire la différence entre le rapport de la haine à l’être et le rapport de l’amour à l’être, en disant la chose suivante : d’abord, il fait une sorte d’homophonie entre être et haïr : il est/il hait (au tableau). Il fait cette homophonie pour continuer à dire que l’amour, à différencier maintenant le rapport de l’amour et de la haine, l’amour, dit-il, prétend atteindre l’être ; il prétend, mais ce qu’il n’atteint, ce n’est que le semblant d’être. Donc dans l’amour, nous avons affaire au semblant, pas à l’être. Ça me semble un point clinique vraiment à relever. Tu parlais de fiction, nous avons le sentiment souvent que l’amour et le semblant collent ensemble, je ne sais pas comment, mais chacun à sa manière. Il y aurait beaucoup de choses…

Je vais finir par un petit commentaire, parce que Lacan en parle deux fois dans son enseignement, dans le séminaire sur les Psychoses, autrement dit là où l’amour apparaît comme passion, et cette passion de l’amour a toujours passionné Lacan, puisque c’est comme ça qu’il a commencé sa thèse : Aimée. D’abord, il l’a appelée Aimée, puis, c'est un délire érotomaniaque, un délire où l’amour apparaît dans sa vérité. Il en parle dans ce séminaire, dans la séance du 16 novembre 1960 et dans le Séminaire Encore, dans l’édition de l’Association page70, il parle de plusieurs auteurs chrétiens. Et pourquoi ? Nous pourrons nous poser la question. Il parle d’abord du Père jésuite Pierre Rousselot qui avait écrit cette histoire du problème de l’amour au Moyen-Âge – ce magnifique ouvrage – où il divise, selon la théorie ancienne, l’amour physique et l’amour extatique dont parle Lacan. Page 70, aux éditions du Seuil. Il parle de Pierre Rousselot, il parle aussi d’autres que je ne veux pas nommer, faute de temps, et il parle de ce livre qui a eu tant de succès, Eros et Agapê, qui vient d’être réédité aux éditions du Cerf, c’est un joyau de la littérature sur ce problème. Lacan dans le Séminaire Encore indique comment ce livre de Nygren, qui était un protestant – c’était un théologien protestant – il divise, il oppose Eros et Agapê.

Qu’est-ce que c’est, Eros et Agapê ? C'est très complexe. Je crains de dire des choses très bêtes. Ce n’est pas pour ne pas dire des choses très bêtes, mais des choses qui réduisent l’écriture de ce texte qui est formidable et d’une articulation merveilleuse, d’une rigueur… Il oppose ces deux amours, puisque l’Agapê, c’est aussi une forme d’amour, et nous verrons pourquoi Lacan s’est fondé sur cet Agapê. La différence entre les deux, c’est que l' Eros, dont Lacan a parlé tout au long du Séminaire du Transfert, en commentant le Banquet de Platon, où il distingue, comme Platon d’ailleurs, la position, dans l’amour, de l’amant et de l’aimé, de l’éromenos, qui est l’aimé, et de l’érastès, qui est l’aimant...

Eh bien, il y a donc, à l’intérieur de l’amour, cette double position, et le transfert selon Lacan dans le Séminaire sur le Transfert consiste dans la subversion de la position, autrement dit de faire que l’aimé devient aimant. C’est le cas d’Alcibiade. Ce changement de place signifie que celui à qui, dans le couple, s’adresse l’amour, représente – on y cherche – ce qui manque à l’aimant. L’aimé représente, et tu en as parlé, ce qui vient à combler ce manque, ce trou, si nous voulons revenir à ce que Henri nous a dit ce matin. L’aimant s’adresse à l’aimé, en tant qu’il est le lieu où son trou peut être, sinon rempli, du moins couvert. C’est une des fonctions essentielles dans l’analyse de la place de l’analyste, et dans le traitement de cette demande de combler ce trou qui est structural, mais dont il représente l’objet. Et c’est pourquoi, dans le discours analytique, l’objet a est à la place de l’agent...

Augustin, je termine avec cette remarque, qui est cité souvent comme vous le savez par Lacan, d’une manière beaucoup plus précise dans le Séminaire Encore, Augustin a voulu, comme toujours, par son intelligence orientale, et par sa connaissance de la tradition ancienne, gréco-latine, a voulu faire quelque chose, ce qu’on appelle une synthèse – il était hégélien avant Hegel ! – entre justement ces deux amours, l’amour de Eros, autrement dit la recherche d’un bien qui me manque, donc un amour égoïste, que je cherche pour bénéficier de ce qui me manque, donc un amour centré sur l’ego, et qui, dans la tradition médiévale s’appelait, et que Lacan cite d’ailleurs, l’amour… - il fait la différence comme c’était à l’époque divisé, entre l’amour extatique et l’amour physique. L’amour physique, c’est cet amour qui cherche le bénéfice du sujet, la phusis, la nature. Et l’amour extatique, c’était l’amour divin, supposé être absolument gratuit. Dans l’amour divin, on ne cherche que l’amour de l’Autre, mais en tant qu’objectif, pas en tant que subjectif, ce n’est pas pour bénéficier de quoi que ce soit... C’est parce que l’Autre m’aime, que je l’aime. Autrement dit, dans la tradition extatique, l’amour vient de l’Autre, c'est ce qui intéresse Lacan, cela ne vient pas de mon semblable ; ça vient de l’Autre. Et donc il y a une toute une autre dimension que purement imaginaire. C’est du tout Autre, qu’on appelle Dieu, comme on dit.

Virginia Hasenbalg : Tu as développé l’Eros, érastès, éromenos, et puis l’Agapê, tu as dit que c’était une forme d’amour...

Jorge Cacho : C’est une forme d’amour. L’Agapê, c’est la traduction chrétienne de l’amour de Dieu. C’est un amour gratuit, mais gratuit au double sens : c’est-à-dire que la créature est aimée par le Créateur, c’est comme ça qu’on les appelait à l’époque dans la tradition chrétienne, dans les trois monothéismes : Dieu est Créateur. C’est le rapport du Créateur à la créature, pas parce qu’elle est aimable, mais parce qu’elle est créature. C’est par le statut du sujet. Il peut être bon, mauvais, tout ce qu’on voudra, dans la tradition chrétienne, et ça, c’est la grande différence avec la tradition hébraïque. C’est la subversion, parce que dans la tradition hébraïque, l’amour du Créateur à sa créature est fondé sur la loi : c’est dans la mesure où la créature obéit à la loi divine…

V. H. : Il paye un prix, alors que ce que tu nous dis de l’amour chrétien, c’est qu’il est gratuit.

J. C. : Oui, c’est ça la grande différence.

V. H. : Est-ce que tu ne vois pas là quand même – c’est mon intuition – une distinction entre l’amour maternel et l’amour paternel ?

J. C. : On peut. Sûrement, ce n’est pas l’amour du Nom-du-Père.

V. H. : Parce que l’amour gratuit : tu es aimé parce que tu es créature ; aucun effort à faire !

J. C. : Voilà ! C’est surtout dans la tradition protestante.

V. H. : Qu’est-ce qu’ils disent les protestants ?

J. C. : Justement, ce que je viens de dire. C’est-à-dire que l’amour est pure gratuité. Qu’il n’y a aucun rapport. Parce que dans la tradition catholique, c’est un peu différent : pour que l’amour soit mérité, il faut les œuvres. Il n’y a pas d’amour sans œuvres.

V. H. : Ce n’est pas si gratuit que ça…

J. C. : Ce n’est pas si gratuit que ça.

V. H. : Tu peux l’acheter un peu !

Jorge Cacho : Non, attends ! Ce n’est pas que tu peux racheter quoi que ce soit, puisque de toute façon, tes œuvres sont des œuvres qui sont soutenues, inspirées par l’amour de Dieu.

Pourquoi Lacan s’y intéresse ? Je dis un mot sur la doctrine synthétique d’Augustin, puisque l’amour éprouvé pour Dieu, dans sa doctrine sur l’amour, qu’il appelle Caritas, la charité, il va traduire en latin le terme Agapê, il l’appelle Caritas. C’est la manière de traduire d’Augustin ; c’est une question véritable, mais nous n’avons pas le temps – dans l’amour éprouvé pour Dieu, dans la Caritas, pas en tant que prétention d’acquérir un bien personnel, ce n’est pas du côté de uti. Lacan divisera le uti et le frui chez Augustin, vous vous rappelez ? Non? Il en parle pourtant dans Encore. Oui, uti et frui.

V. H. : Oui, oui, uti et frui, c’est dans la première leçon.

Jorge Cacho : C’est que l’amour de Dieu, pour Augustin, la Caritas, ce n’est pas un amour en tant qu’il prétend acquérir un bien personnel, ce n’est pas une utilisation de l’Autre pour acquérir un bien personnel mais c’est un amour sans cupiditas. L’amour de l’uti, c’est un amour avec cupiditas, avec la recherche d’un bien personnel ; ça, c’est l’amour physique. Comme ils disent, les objets du monde, c’est un amour mondain, et c’est un amour temporel. L’amour de la Caritas ne vise pas autre chose que l’amour de Dieu dans sa pure gratuité. C’est l’interprétation de Nygren. Je crois qu’il exagère. Je ne vais pas… je n’ai pas eu le temps… je ne sais pas si ça vous intéresse spécialement.

Un intervenant : Plotin en parle comme ça aussi.

Jorge Cacho : Plotin. Plotin, c’est la question du Un, c’est lié à l’amour, mais comme dépassement de la question de l’être. Pourquoi Lacan aborde ces questions ? C’est parce qu’en effet, dans l’analyse, nous avons affaire à une autre érotique que celle qui a été introduite par Freud, qui fait de l’amour un phénomène exclusivement, strictement imaginaire. Lacan veut aborder l’amour par d’autres corrélations, ne serait-ce que l’aspect symbolique de l’amour, en tant qu’il s’adresse à l’Autre, en tant que grand Autre, et surtout par la manière dont l’amour dans la tradition chrétienne – ce qui l’intéresse – est au cœur, dans son union, dans son intrication avec la jouissance, de la conception mystique de l’amour. Et c’est pourquoi il cite plusieurs mystiques : Jean de la Croix, d’Avila et puis cette mystique hollandaise dont le nom est très difficile à prononcer [Hadewijch d’Anvers] mais sur qui notre collègue Hubert Ricard a écrit un article remarquable dans la revue La Célibataire, dans le numéro sur l’identité chrétienne. Il a écrit un article sur cette mystique.

C'est-à-dire que Lacan élabore déjà dans l’Ethique, dans la séance du 26 XII 59, une érotique qui est différente. Une érotique qui a affaire à cette liaison entre la jouissance et l’amour, parce que la mystique est le lieu où s’exprime, s’écrit, parce que c’est surtout des écritures ; les mystiques parlaient. Les textes par exemple de Bernard, saint Bernard, que Lacan cite dans Encore, c’est les commentaires que Bernard avait d’abord prononcés devant ses moines.

V. H. : Ça a rapport aux confesseurs, m’as-tu dit, les confesseurs les faisaient écrire.

Jorge Cacho : Oui, mais ça passait d’abord par la parole. Donc c’était quelque chose qu’ils arrivaient à dire. Quelque chose. C’est ce lieu – et je crois que c’est ça qui passionne Lacan – la mystique, pas la mystique en elle-même, c’est parce que dans ce lieu apparaît la liaison entre l’amour et la jouissance. Ils ne sont pas séparés, c’est-à-dire que les mystiques – et ils le disent – jouissent d’aimer. Et ils essaient d’expliquer : plus ils aiment, pas plus ils sont aimés, parce qu’ils se sentent complètement indignes, ils se sentent tous déchets.

V. H. : Comme les décharites, de déchariter, déchets

Jorge Cacho. : Ce que Lacan dit. C’est en tant que déchets qu’ils sont aimés ! Et ils sont le lieu où cet amour de l’Autre vient les brûler. La brûlure de l’amour. Le feu, et toutes les métaphores qu’ils utilisent, le feu de l’amour. Voilà un peu ce qui me semble la complexité de la question de l’amour. Je ne parle pas encore de la question de Yad’l’Un qui est strictement liée.

Voilà un peu comment Lacan, dans le Séminaire Encore, dans l’ensemble du séminaire du début à la fin, parcourt cette question d’une manière extrêmement complexe, et pourquoi il s’intéresse à la mystique, et surtout pourquoi il l’aborde de cette manière dont je viens d’évoquer certains traits. C’est parce que Lacan fait du transfert autre chose qu’un amour comme projection narcissique sur l’analyste.

Voilà un peu ce que je peux vous apporter de ce qui a été mon travail jusqu’à maintenant avec mes collègues, parce que, heureusement, nous avons un cartel qui fonctionne à mon goût très bien, un cartel, comme ça s’appelle, qui nous fait travailler les uns et les autres chacun selon son propre truc et sa propre recherche. Voilà ce que je voulais vous dire.

V. H. : Je ne sais pas s’il y a des questions. Y a-t-il des questions ?

Jean Périn : J’avais une question. Quand tu parles de l’amour, chez les Hébreux, et de la loi, ça m’a beaucoup intéressé – [J. C.. : Mais sûrement.] – Bien sûr, tu n’as pas exploité la comparaison avec le Dieu chrétien – [Mais bien sûr, c’est tout autre chose] – Il semblerait que l’amour y tienne lieu de la loi, si je comprends bien.

Jorge Cacho : C’est plutôt que l’Autre..., c’est le statut de l’Autre, c’est l’Autre de la Loi. Dans la tradition hébraïque – ce que je peux connaître ; vous pouvez me dire, s’il y a parmi vous des gens qui connaissent mieux que moi – ce lieu de l’Autre est le lieu de la Loi, même si, dans la tradition – je ne sais pas à dire vrai, parce que malheureusement je ne connais pas cette langue – mais les Écritures, les commandements sont au futur : tu ne tueras point. Donc ça laisse, disons, une marge. Ce n’est pas : tu ne tues pas.

J. P. : Chez nous c’est à l’indicatif présent.

J. C. : C’est à l’indicatif ou à l’infinitif ? Ne pas tuer. Il y a différentes manières, le futur aussi : tu ne tueras point. Mais quoi qu’il en soit, ce qui n’est pas rien, dans l’amour de la Loi, c’est le lieu de l’énonciation de la Loi et donc le sujet a affaire à la Loi. Donc on pourrait penser qu’on pourrait être dans cette tradition sans pour autant être religieux au sens de la relation à Dieu, de la relation intime comme elle apparaît dans le christianisme, ce qui est son problème fondamental. C’est-à-dire qu’il a affaire à un Un, à un Autre qui est habité par un sujet. Donc c’est cette impossibilité ; comme l’amour demande l’amour, c’est impossible de satisfaire cet Autre, qui ek-siste, et donc vous ne pouvez jamais payer votre dette. Alors, comme vous ne pouvez pas la payer, vous pouvez dire : je ne peux pas la payer, je m’en fous, que ce soit un autre qui la paye ; de toute façon, je serai pardonné et aimé, je ne suis pas aimé parce que je paie, mais parce que je suis ; c’est une différence éthique très profonde.

Jean Périn : L’amour est le lieu de la Loi, c’est la loi de l’amour.

Jorge Cacho : Une dernière remarque : c’est une éthique radicalement différente. Ce qui fait que, comment dire, dans la tradition du monothéisme chrétien, dans ses différentes versions, il y en a trois : la catholique, la protestante, et l’orthodoxe. Il y a des différences très importantes, je viens d’en remarquer une : la pure gratuité sans œuvres, qui n’est pas la tradition catholique. Quoi qu’il en soit, dans cette tradition, le sujet est dans une position de demande permanente de l’amour, puisque, comme l’Autre est nécessairement insatisfait, puisqu’il n’y a pas de lois qui déterminent quelles sont les conditions de l’amour, c’est un amour sans conditions. Et on voit bien, d’une manière extrême dans la position mystique, comment les mystiques dévoilent la structure chrétienne dans son fondement, c’est-à-dire de déchet. Voilà quelques remarques sur la différence… Il y aurait beaucoup de choses à approfondir… mais il me semble que je ne dis pas de choses trop erronées.

V. H. : Merci beaucoup Jorge, ce que tu nos apportes c’est fabuleux. Pour moi, tu éclaires, tu me permets en tout cas, de déplacer un préjugé, qui s’est basé sur ce que dit Freud, quand il dit que la religion chrétienne est une régression par rapport à la religion juive, par rapport à cet Autre. Je vais le dire en termes lacaniens. Le Grand Autre pour un juif serait paternel ; pour un chrétien, il serait maternel. On se dit : Ah, ah, la loi, le Nom-du-Père c'est bien, l'amour maternel, pas bon. Mais tout d’un coup, si on part de cette distinction, qui pour moi est importante, entre la structure et l’Œdipe et que l’Œdipe, c’est ce qui vient nouer quelque chose qui au départ se présente comme séparé, Il y a un premier temps logique, c’est le temps de l’amour de la mère ; parce que si tu n’es pas adopté par ta mère...

Il y a une opérativité symbolique de l’amour d’une mère lorsqu'elle adopte son bébé quand il arrive au monde. Il y a là peut-être là un temps logique, que nos collègues qui s'occupent des enfants rappellent souvent.

Je reviens à ce que dit Melman, les trois temps de la cure. Le névrosé arrive avec son mythe individuel. Chacun a ses traumatismes préférés, adorés, qui vont expliquer toute son existence. On passe tous par là. Puis nécessairement, il entre dans l’Œdipe comme étant le lieu commun, la souffrance commune, de la frappe du symbolique qui nous marque tous de la même façon. Le troisième temps, Melman le dit clairement, l’au-delà de l’Œdipe, c’est le temps de l’objet a, c’est-à-dire le déchet dont tu parles. Avec ce déchet, on revient à cette structure, c’est-à-dire, qu’on arrive au monde, on est cette espèce d’objet à adopter par les parents, par les figures paternelles. En tout cas, parole de grand-mère, quand on voit un petit bébé qui vient de naître, on perçoit qu’il y a là un temps pour que se mette en place l’entrée de "ce" qui vient de naître dans la subjectivité. Cette entrée dans la subjectivité n’est possible qu’à partir de l’amour qu’il va recevoir de ceux qui l’entourent.

Un intervenant : Je voulais savoir si ça vous avait frappé qu’il y ait, je crois, un hapax, chez Lacan, qui dit à un moment  le sujet de la jouissance et donc quand on parle du signe du fumeur, c’est le fumeur en tant que sujet jouissant. L’amour vise en partie cette jouissance indicible de l’Autre, c’est-à-dire que ce n’est pas le sujet du signifiant, c’est le sujet en tant qu’il est mû par une jouissance inconsciente, indicible, inaccessible, qui est infra-ombilic si l’on peut dire.

N. D. : Je remercie beaucoup Jorge, parce qu’à partir de son travail, il y a des questions qui s’ouvrent et dans lesquelles on peut s’orienter. On peut déjà un peu s’orienter, par exemple dans la question du rapport entre l’amour, la jouissance et le savoir. Par exemple. Mais je crois que, sur la question de l’amour et du sujet, enfin… c’est assez énigmatique ce que nous dit Lacan : il nous parle de ce fumeur, du signe d’un fumeur comme étant un effet intermédiaire… C’est curieux comme expression. Alors évidemment on peut l’interpréter de différentes façons. Si on l’interprète comme sujet jouissant, ça a des conséquences, certainement, mais c’est une lecture, quand même ! L’expression même de Lacan est plus retenue que ça.

J. C. : Ce sont des questions d’une grande complexité. Il parle beaucoup du signe comme effet et du sujet comme effet. Le sujet est un effet du signifiant, pas un effet du signe. Mais il y a un lien entre l’amour qui est un signe et le sujet. Donc il y a là, voyez, une triangulation entre ces trois termes. C’est-à-dire, finalement, qu’est-ce qui nous intéresse dans cette affaire? c’est que, dans notre travail sur Lacan – et c’est ça qui fait que je suis passionné par Lacan, pour ce qu’il a fait, pour ce qu’il a travaillé – c’est qu’il nous permet la dialectisation du fait qu’il y en a toujours au moins trois. Si nous voulons réduire à des définitions, c’est la manière, la résistance la plus idiote à ce que Lacan nous empêche, par son écriture, de faire. C’est-à-dire que nous sommes devant un dispositif, très complexe, où il y a des choses qui sont nouées et que nous devons isoler, en tant que nouées, mais nous ne pouvons pas dénouer au sens de les séparer, parce qu’alors là, c’est une catastrophe.

Et je crois que si Lacan… la difficulté de la continuité de l’enseignement de Lacan tient beaucoup à ça… aujourd’hui, la connaissance, c’est quoi ? La connaissance entre deux : entre 0 et 1, donc toute dialectisation devient impossible… Si Lacan, dès le premier séminaire jusqu’au dernier – et Denise en est témoin, je suis intervenu au Collège, justement, pour faire valoir quelque chose qui est très lourd, et je comprends la référence de Lacan à Hegel – du premier séminaire jusqu’au dernier, il n’y a pas un séminaire où il n’en parle pas – c’est parce que justement chez Hegel, il y a cette question de la dialectique. Autrement dit, il y a trois temps, toujours trois, autrement c’est impossible. Il faut passer par ce nouage de trois. Je crois que sans cet enseignement qui nous sert beaucoup à aborder Lacan..., avec la difficulté énorme que le texte présente, ne serait-ce que par la culture qu’impliquent tous ses textes.

V. H. : Jorge, tu disais : on ne peut pas dénouer parce que ce serait la catastrophe. J’aimerais là-dessus…

J. C. : On peut nouer autrement.

V. H. : On ne peut pas dénouer parce que c’est déjà noué. Que ce soit à deux, à trois, à quatre. On a affaire au nœud puisqu’on parle, qu’on est déjà dans le discours, etc. Mais je reviens là-dessus. Il me semble que, quand Melman pose la structure, comme un temps logique, sur lequel va venir s’appliquer l’Œdipe, comme étant un mythe, mais un mythe fondateur, il part de la définition de ce qui serait un rapport originaire, au départ, du symbolique avec le réel. Et c’est là où est à poser la question du trou dont on a parlé aujourd’hui. Je ne sais pas si on peut dire qu’on part de ce moment constitutif où ça prend, le nœud, des conditions pour que ça prenne. Et si je reviens là-dessus, c’est simplement pour insister sur cette dimension de l’amour. Je crois que c’est l’amour qui est l’opérateur du nouage. .

J. C. : Nous avons affaire à deux amours, chez Lacan au moins : l’amour fondé sur le Nom-du-Père et le nouvel amour comme il l’appelle, fondé sur autre chose. S’il dit nouvel amour, alors qu’est-ce que c’est qu’un nouvel amour ? Tout le monde le souhaiterait ! Ce n’est pas un amour répétition du précédent comme nous faisons systématiquement : quand on aime, c’est toujours… c’est un nouvel amour, un nouveau statut de l’amour. C’est quoi, ça ?

Bon, nous allons arrêter ces discours pour ne pas tomber amoureux… à nouveau.

Transcription : Brigitte Le Pivert ; relecture : Monique de Lagontrie

 



[1] J. Lacan, Encore, A.L.I., 2009, le 21 novembre 1972, p. 14.

[2] Son texte est dans la page web des Mathinées lacaniennes.