Lecture de la Troisième avec Jean Brini

Mathinées lacaniennes

Samedi 14 décembre 2013 : 9 h : Lecture de La Troisième (suite)

Jean Brini : Virginia a des impératifs familiaux qui ont fait qu’elle n’a pas pu venir ce matin, sans gravité, mais impératifs quand même. Et donc elle m’a demandé de poursuivre avec vous la lecture de La Troisième. Je ferai ce que je pourrai, je n'ai pas préparé spécialement l’affaire. Je vous propose donc qu’on continue, la seule question c’est que je ne suis pas tout à fait sûr du point où nous nous sommes arrêtés la dernière fois.

Voilà, on en était à Kant (p. 10 dans la transcription du site ELP, p. 12 dans la version de Virginia avec le suivi de modifications).

Je voudrais reprendre aux 3 questions de Kant, c'est-à-dire les 3 questions que Jacques-Alain Miller avait posées à Lacan lors de l'entretien Télévision qui étaient :

« … que puis-je savoir, que m’est-il permis d'espérer […] et que dois-je faire ? »

Il nous dit :

« C'est quand même très curieux qu'on en soit là. Non pas bien sûr que je considère que la foi, l'espérance et la charité soit les premiers symptômes à mettre sur la sellette. Ce n'est pas de mauvais symptômes ».

Alors ça déjà je pose la question : ah bon, il y a des bons symptômes et il y a des mauvais symptômes. C'est quoi ça ? Je mets une petite interrogation en marge parce qu'il y aurait des symptômes à mettre sur la sellette, c'est-à-dire à interroger et puis il y aurait des bons symptômes auxquels il n'est pas besoin de toucher pour le moment, comme la foi, l'espérance et la charité. Voyez, il y a tout un monde de sous-entendus là-dedans, notamment que foi, espérance et charité sont des symptômes, que ce sont des pas trop mauvais symptômes, que nous avons à mettre dans notre travail certains symptômes sur la sellette ou non. Et bon, quand il dit ce n'est pas de mauvais symptômes :

« mais enfin ça entretient tout à fait bien la névrose universelle »…

Ah ! Il y a une névrose universelle, tiens, voilà, intéressant ! Oui, nous le savons, c’est-à-dire que dans la psychanalyse on ne fait pas beaucoup de différence entre névrosés et puis non- névrosés, différencier les névrosés des non-névrosés, – je dis les non-névrosés pour pas dire les normaux –, parce que c'est encore une autre affaire la normalité. Mais les névrosés et les non-névrosés, c'est une différenciation qu'on trouve du côté de la psychiatrie, mais pas au sein de la psychanalyse. Donc la névrose universelle, c'est un concept, enfin c'est un signifiant que nous pouvons légitimement accepter, accueillir, mais c'est quand même étonnant, parce que quand Lacan utilise le mot universelle” il nous renvoie quand même à Aristote, c'est-à-dire aux propositions universelles : tout, tous les hommes sont névrosés.

… : Est-ce que ça ne peut pas s'entendre comme tout névrosé parce qu'il parle ?

Jean Brini : Sans doute oui. La névrose universelle serait le résultat du fait que nous sommes contaminés par le langage et donc que nous parlons. Oui, mais ça signifie, comme il dit parlêtre, c’est-à-dire celui qui est du fait qu'il parle, que être et être névrosé, bien on ne voit plus très bien pourquoi on les différencierait. Mais bon, en même temps, cette histoire de l'être, Hubert Ricard n'est pas là, sinon il nous éclairerait certainement sur comment il faut l'entendre, dans ce contexte particulier. Bon enfin, je vous livre comme ça les points d'interrogation qui viennent quand on prend le texte pas à pas, donc névrose universelle :

« … ça entretient tout à fait bien la névrose universelle, c'est-à-dire qu'en fin de compte les choses n'aillent pas trop mal et qu'on soit tous soumis au principe de réalité, c'est-à-dire au fantasme. »

Là encore, il y a une fausse évidence qui est, être soumis au principe de réalité, c’est, ce serait, d'après ce qu’il nous dit, identique à être soumis au fantasme. Dire que le fantasme, quand nous le renvoyons à S barré poinçon petit a, c'est cette espèce de formule magique qui est : de la coupure signifiante, émerge un sujet barré, divisé, et il y a un reste, l'objet petit a, qui chute dans l'opération, c'est l'acte de naissance du sujet. Or là, c'est être soumis au principe de réalité. Intéressant, c’est-à-dire que si on n'est pas soumis au principe de réalité, est-ce qu'il y a encore un sujet, ou non ? L'équivalence “être soumis au principe de réalité” et “être soumis au fantasme”, en plus on est soumis, – supposé peut-être ? – au fantasme. Enfin bon.

Et il conclut :

« Mais enfin l'Église quand même est là qui veille… »

Ah ! Donc on revient à foi, espérance et charité et, il rajoute ça :

« et une rationalisation délirante comme celle de Kant, ça c'est quand même ce qu'elle tamponne. »

Alors là il y a plein de choses mais il y a déjà : ah bon ! Kant c'est une rationalisation délirante aux yeux de Lacan ! Ça c'est un sujet de thèse. Est-ce une rationalisation délirante ? en quoi ? pourquoi ? Parce que Kant, à ma connaissance, n'a jamais eu de manifestation délirante, enfin je ne connais pas suffisamment la biographie de Kant, mais qualifier ses œuvres de rationalisation délirante, c'est quand même quelque chose ! Et puis en plus, il y a cette histoire de « tamponner », et là, je reste coi, parce que qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire que l'Église tamponne ? Et que s'il y a une rationalisation délirante qui est, comment dire, reconnue internationalement, qui prend une importance de théorie philosophique, comme l'affaire de Kant, qui dure depuis des siècles, eh bien l'Église va tamponner ça. Ça a besoin d'être tamponné. Et là bon, l'image qui nous vient c’est quoi ? c'est le coton dans lequel on va… Alors il y a le tampon tamponné, c'est-à-dire, mettre un amortisseur, c'est-à-dire mettre du coton autour pour que ça fasse pas trop d'éclat ; et il y a aussi, comme vous dites, « je tamponne », c'est-à-dire je dis OK, imprimatur.

Bon voilà ce que j'avais à dire pour cette question de ce dernier paragraphe qu'on avait déjà vu la dernière fois. Alors ensuite il continue :

« J'ai pris cet exemple, comme ça, pour ne pas m'empêtrer dans ce que j'avais commencé d'abord pour vous donner comme jeu, comme exemple, de ce qu'il faut pour traiter un symptôme, quand j'ai dit que l'interprétation, ça doit toujours être, comme on l'a dit, Dieu merci, ici et pas plus tard qu'hier, à savoir Tostain, le ready-made, Marcel Duchamp, qu'au moins vous en entendiez quelque chose, l'essentiel qu'il y a dans le jeu de mots, c’est là que doit viser notre interprétation pour n'être pas celle qui nourrit le symptôme de sens. »

Alors là, je demande de l'aide, Tostain, Marcel Duchamp, j'ai téléphoné à Virginia hier soir, elle n'en sait rien, elle ne sait pas ce que ça vient faire ici, donc si vous avez quelque éclairage à me donner, Tostain c'est probablement un psychanalyste qui est intervenu la veille mais qui a parlé de ready-made, qu'est-ce que ça vient faire ici ? En tant que l'interprétation ça devrait être du ready-made, du tout prêt, du tout fait, et du prêt à porter. Et puis, Marcel Duchamp, que je ne connais que de nom, que vient-il faire là-dedans ? Je ne sais pas. Alors…

… : Le ready-made, c'est Duchamp.

Jean Brini : Alors expliquez-moi parce que justement je ne connais pas Duchamp justement. Je sais que c'est un artiste célèbre mais… alors, qu’est-ce qu’il a… ?

… : ... de Dada, le ready-made c'est l’urinoir de Duchamp, c’est ces objets manufacturés qu'il érige en œuvre d'art, en manifestation… qu’il conçoit comme une création de sa part, c’est le regard qui crée…, ce que fait Duchamp à partir d’un objet industriel, cet urinoir qu'il montre et qu’il prend comme œuvre d’art.

Jean Brini : Alors c'est intéressant parce qu’il dit l'interprétation ça doit être comme ça !

… : c'est un petit peu plus que ça parce que le vrai nom du ready-made tel que Duchamp l'appelle, c'est le ready-made aidé, et donc il explique Duchamp que c'est prendre de la production industrielle un objet et du fait que lui artiste l'érige en œuvre d'art, ça devient une œuvre d'art donc ça change, ça en modifie la perception.

Jean Brini : D'accord. C'est-à-dire que quand je fais une interprétation, du fait que c'est moi sujet supposé savoir qui la fais, elle peut être d'une banalité épouvantable, ça peut être un mot complètement sans relief, du fait que c'est dit par telle personne à tel moment, ça prend un relief spécial. C'est comme ça qu'on peut entendre cette phrase, c’est-à-dire…

… : … et que de par le du sujet supposé savoir que ça ait valeur d'interprétation aussi, si on reprend ce qu'il dit Duchamp, c’est-à-dire qu’il faut que ça soit lui qui décide que.

Jean Brini : C'est celui qui est en face de l'œuvre qui va consentir ou non à ce que ce soit…

… : … non, il y a aussi l'artiste qui décide «  je décide que ça, ça va être une œuvre »

… : C'est le premier qui a pris un objet usuel pour en faire une œuvre.

Jean Brini : D'accord

… : ou bien est-ce que c'est parce que c'est déjà dans la parole de l'analysant, c'est du matériel… il semble, qui est déjà là, enfin...

Jean Brini : Voilà ! Alors ça revient à, ça renvoie à l'affaire comme quoi l'interprétation c'est « citation et énigme », je ne sais plus dans quel séminaire mais c'est une chose que j'ai retenue, que Martine Lerude à l'époque avait attiré notre attention sur ce fait que Lacan nous donnait comme indication, comme définition presque, de l'interprétation – « citation et énigme ». Donc la citation, ça voudrait dire que c'est ready-made parce que c'est dans le matériel comme dit Freud que nous a livré le patient. On l'extrait, on en fait choix pour l'ériger en. Donc c'est ce qui en fait une énigme aussi.

Alors il y a aussi cette chose-là c'est qu'il s'agit de ne pas nourrir le symptôme de sens et en même temps, à la même époque en 1975, il nous dit, je ne sais plus dans quelle intervention, à la Grande-Motte je crois : le comble du sens c'est l'énigme. Donc il y a quelque chose d'un petit peu noué entre énigme, sens, interprétation et ready-made. Parce que s'il s'agit de ne pas nourrir le symptôme de sens, si l'interprétation c'est citation et énigme, que citation c'est ready-made parce que c'est prélevé dans le matériel que fournit l'analysant...

Pierre Coërchon (PC) : … c'est-à-dire que là il y a un effet de nomination d'un entretien dans l'interprétation d'un effet de nomination, c'est-à-dire : «  c'est une œuvre ». [Jean Brini : domination ?] nomination [JB : Ah ! nomination, d’accord.] il y a un entretien, dans l’acte de nomination, du sujet supposé en tant que le père comme nommé et le père comme nommant. C'est-à-dire il y a le 4e qui est, donc dans ce que critique Lacan, moi il me semble, le 4e est maintenu dans ce ready-made ? Il y a toujours le 4e de la nomination qui est maintenu, « c'est une œuvre ». Alors que justement l'enjeu de l'interprétation analytique même si ce que l'analyste a à soutenir c'est cette position de sujet supposé au savoir, c'est quand même justement de ne pas boucher, de ne pas combler cette interrogation ouverte sur l'énigme de l'énonciation et de la laisser en place. Tandis que là, quelque part, on a un effet, d'assurance ou de réassurance, enfin qui est toujours référé au religieux quelque part. C'est pareil, à mon avis quand il met en parallèle Kant et l'Église, je me demande s'il n'est pas en train de faire une raillerie là, pour mettre en évidence le côté religieux chez Kant et l’effet concurrentiel qu'il pourrait y avoir entre Kant et l'Église. Voilà. Je me posais cette question-là, moi.

Jean Brini : C'est certainement présent dans ce qu'il nous livre. Enfin bon, on peut rester avec cette…, on n'a pas forcément des réponses à apporter. Mais là il y a une série de pistes liées à cette phrase qui est quand même assez impressionnante.

Alors, il continue… Ah oui ! Je voudrais faire une remarque : je ne sais pas sur quel texte vous travaillez. Je travaille moi sur le texte que Virginia et Monique de Lagontrie ont mis en place. Et il y a quelque chose qui est tout à fait…, et qui est absent des autres textes, c’est les « ouais ». Vous avez fort justement mis en relief, en allant à la ligne, parce qu’on a l’impression que le texte de Lacan, l’énonciation de Lacan, est ponctué(e) par des « ouais ». Vraiment il fait…, alors je ne sais pas quelle est la durée matérielle du silence qui entoure le « ouais », mais en tout cas, il y a vraiment un « à la ligne » où on a l’impression qu’il s’absente, qu’il réfléchit et puis qu’il va revenir. Là, on n’en a pas eus encore, mais vous allez voir et si vous regardez le texte, parce que ça a été très bien mis en relief par la transcription, et tout d’un coup ça m’a sauté aux yeux que c’est comme si ça voulait dire : point, à la ligne, nouveau paragraphe. Quelque chose comme ça. Il y a une scansion. Et qui a été complètement enlevée de la transcription officielle, parce qu’effectivement, ça fait pas…, ça fait pas bien quoi.

Donc là il continue et il dit :

« Et puis je vais tout vous avouer, pourquoi pas ? »

Extraordinaire, avouer, passe encore ! mais « tout » ?

« Ce truc-là, ce glissement de la foi, l'espérance et la charité vers la foire – je dis ça parce qu'il y a eu quelqu'un hier soir à la conférence de presse à trouver que j'allais un peu fort sur ce sujet de la foi et de la foire. C'est un de mes rêves, à moi. J'ai quand même bien le droit, tout comme Freud, de vous faire part de mes rêves. Contrairement à ceux de Freud, ils ne sont pas inspirés par le désir de dormir, c'est plutôt le désir de réveil moi qui m'agite. Mais enfin c'est particulier. »

Bon, tout ce paragraphe, on peut le considérer comme une espèce d'aparté, de petit commentaire, je vous dis ça, et puis on va y revenir, et d'ailleurs ça se termine par :

«  Ouais. »

Alors c'est quoi cette histoire que le rêve de Lacan, qui est le réveil, qui est de se réveiller, alors ça c'est très curieux cette histoire de réveil, parce que « réveil » on trouve ça… à peu près dans tous les enseignements mystiques il est question de réveil, il est question de l'affaire que nous dormons dans notre vie quotidienne et que, eh bien il y aurait des opérations mentales à faire pour accéder enfin à l'Éveil, avec une majuscule de préférence. Vous avez ça à peu près à tous les coins de rue, dans les enseignements dits ésotériques, mystiques ou tout ça. Tout d'un coup Lacan nous parle de « moi ce qui m'intéresse c'est l'Éveil ». Et l’Éveil, c'est quoi ? C'est par un rêve, alors un rêve qui m'éveillerait déjà – en général les rêves qui nous réveillent, c'est les cauchemars. Donc lui il parle de rêve, et un rêve ça serait quoi, ça serait qu'on glisserait de la foi vers la foire. Alors je ne sais pas ce que Lacan entend par foire, mais ce qu'il y a de sûr c'est que ça a une résonance un peu subversive, que nous serions dans un ronron, un ronron comme on dit, un ronron ensommeillé et qu’il y aurait à souhaiter, y aurait à rêver… Alors il y a aussi une ambiguïté, il dit « C'est un de mes rêves » mais bien entendu quand il le dit comme ça, on a l'impression que c'est un de mes rêves, à moi, c'est-à-dire un de mes rêves, comme quand on dit je rêve d'aller un jour à Venise, c'est-à-dire un rêve au sens de vœu. Voilà. Alors que quand on parle des rêves de Freud, c'est le rêve de l'injection à Irma, c'est le rêve de la monographie botanique, c'est-à-dire des "vrais rêves", c'est-à-dire Lacan joue très explicitement sur l'ambiguïté du mot rêve, sur l'équivoque du mot rêve.

… : est-ce qu'on ne peut pas entendre foire comme quelque chose qui foire ? qui rate ?

Jean Brini : Oui, ce n'est pas forcément la foire du Trône ! Je ne sais pas, mais de toute façon rêver que ça foire, c'est pareil, en quoi est-ce que ça me réveillerait quand ça foire ? Ça reste à l'état de question

Pierre Coërchon : Le mot d'esprit, il intègre l'impossible, là, il laisse entendre l’impossible. Dans "foirer", l'impossible il est intégré quelque part. Il y a quelque chose de la foi qui chute, qui trouve son point d'arrêt et qui intègre l'impossible et puis il y a cette notion de grande foire générale dans laquelle on baigne, enfin, dans l'équivoque qu'il manie en acte il y a une réduction du symptôme, de fait, dans la foi, dans le religieux.

Jean Brini : De la foi en tant que symptôme ?

PC : Oui. [JB : D'accord] c'est-à-dire qu'il fait chuter le symptôme en maniant l'équivoque dans le cadre de son enseignement

Jean Brini : C'est-à-dire qu'il nous donne un exemple de ce qu'il vient de dire.

PC : C'est ça, il acte, il pratique ce qu'il dit.

Jean Brini : Il nous donne une illustration in vivo de ce dont il vient de parler. C'est-à-dire le jeu de mots qui n'alimente pas trop le symptôme, qui ne nourrit pas le symptôme de sens. Voilà.

PC : Voilà, donc qui laisse l'énigme ouverte.

Jean Brini : Donc voilà. C'est-à-dire que cette foire ou ce foireux ou ce foiré, eh bien on reste avec ce… voilà. Et alors ?

Elsa Caruelle (EC) : En même temps, c'est pas la première fois que Lacan parle de réveil, il me semble que c'est dans R.S.I. juste après avoir parlé d'Héraclite. Il dit quelque chose autour d'une question de bateau, y a une sorte de bateau et il parle de son (inaudible28’09) Et ça me fait aussi penser que Melman a écrit un article il y a pas mal d'années qui est je crois « la vie est un songe » où il dit quand même qu'en règle générale on dort effectivement, on dort parce qu'on est endormi par notre fantasme, en fait c'est ça. Et moi ça ne me paraît pas anodin que Lacan il amène cette histoire de réveil en faisant allusion à la question d'Héraclite et du tonnerre etc., qui en fait ayant parlé de la question du fantasme juste avant quand même hein ?

Jean Brini : Oui, tout à fait. Et du fantasme et de tamponner.

EC : Et en plus du côté de, ça serait la seule réalité à laquelle on aurait accès, ce serait celle du fantasme, c'est celle qui nous fait dormir quoi, qui nous endort.

Jean Brini : Et qui parle aussi dans cette période-là du bref instant de lucidité au moment où je me réveille le matin et puis ensuite je plonge dans le sommeil habituel qu'on appelle veille

EC. : Peut-être aussi, parce que vous parliez d'éveil, foi/foire, le r-e là, et puis le éveil/réveil, on a aussi…

Jean Brini : Ah oui, oui on peut aller jusqu'à la lettre. Et d'ailleurs :

« Ouais.

Enfin ce signifiant-unité, c'est capital. »

Voyez, on attrape la logique de ce qu'il raconte et du coup dans la suite du texte, on s'aperçoit qu'on n'a pas trop foiré finalement. Donc le signifiant-unité. C'est capital. Alors c'est quoi ce signifiant-unité ? On y reviendra.

« C’est capital, mais ce qu'il y a de sensible c'est que sans ça, c'est manifeste, que le matérialisme moderne lui-même, on peut être sûr qu’il ne serait pas né, si depuis longtemps ça ne tracassait les hommes, et si dans ce tracas, la seule chose qui montrait être à leur portée, c'était toujours la lettre quand Aristote comme n'importe qui enfin se met à donner une idée de l'élément, il faut toujours une série de lettres, rhô, gamma, tau, exactement comme nous. Il n’y a d’ailleurs rien qui donne d'abord l'idée de l'élément, au sens où tout à l'heure je crois que je l'évoquais, du grain de sable – c'est peut-être aussi dans un de ces trucs que j'ai sauté, peu importe – l'idée de l'élément, l'idée dont j'ai dit que cela ne pouvait que se compter, et rien ne nous arrête dans ce genre… Si nombreux qu'ils soient les grains de sable – il y a déjà un Archimède qui l’a dit – si nombreux qu'ils soient, on arrivera toujours à les calibrer. Mais tout ceci ne nous vient qu'à partir de quelque chose qui n'a pas de meilleur support que la lettre. Mais ça veut dire aussi (je donnerai quelques indications après, je voudrais aller jusqu'au bout du paragraphe, c'est-à-dire jusqu'au prochain « ouais ») parce qu'il n'y a pas de lettres sans de lalangue. C'est même le problème, comment est-ce que lalangue, ça peut se précipiter dans la lettre ? On n’a jamais fait rien de bien sérieux sur l'écriture. Mais ça vaut quand même la peine, parce que c'est là tout à fait un joint.

Ouais. »

Bon !

… : Moi, dans la version officielle, j’ai non pas « cela ne pouvait que se compter » mais « cela ne pouvait pas se compter », la version de l'Ali.

JB : Ce point-là n’est pas souligné.

(La dernière relecture de La Troisième, qui devait remplacer la précédente, n'est pas encore disponible dans le site des Mathinées lacaniennes, Jean Brini dit qu’il a la version avec les corrections en bleu.)

… : c'est complété par ce qu’a dit Archimède dans la suite "si nombreux qu'ils soient, on arrivera toujours à les calibrer"

JB : Oui, oui, oui. D'ailleurs à ce propos-là, c'est très marrant, parce que dans ce que je me préparais à vous présenter dans la suite, c'est-à-dire pour l'atelier de topologie, Archimède a fait une estimation du nombre de grains de sable qui pourrait être contenu dans la sphère des fixes. Et pour ça, il a introduit une notation, il faut que je la retrouve, voilà, alors je ne connais pas l'expression en grec mais la traduction en français ça donne :

« une myriade de myriades d'unités, du myriade de myriadième ordre, de la myriade de myriadième période ».

Voilà l'expression et il paraît que ça prend 7 mots grecs pour le dire. Et ça si on le traduit, sachant qu’une myriade[1] c'est 10 000, que donc une « myriade de myriade[2] c’est 10 puissance 8 », eh bien ça donne au total « 10 puissance 8 . 10 puissance 16 ».

left(left(10^8right)^{left(10^8right)}right)^{left(10^8right)}=10^{8cdot 10^{16}}

période

ordre

unités

C'est-à-dire 1, suivi de 8 « puissance 16 zéros ». C'est-à-dire en milliards ça donne : un 1 suivi de 80 millions de milliards de zéros !!!

Bien évidemment, le poids de papier nécessaire pour l'écrire est supérieur à la masse de l'univers, donc c'est même pas la peine d'en parler. Donc Archimède avait déjà introduit une notation, et vous voyez bien, on en parlera tout à l'heure, Lacan est parfaitement au fait du fait que Archimède a introduit cette notation pour calibrer, pour calibrer, si nombreux que soient les grains de sable, on arrivera toujours à les calibrer. Calibrer n'est pas compter. Et ça c'est très important et Lacan est parfaitement au courant de cela.

Marcelo Gryner (MG) : Je crois que la difficulté dans ce passage-là, c'est bien parce que il dit que dans lalangue c'est difficile donc de faire le découpage, sauf de la lettre, la seule chose qu'on peut découper dans lalangue c'est la lettre, parce que sinon il y a de l'homophonie parfois, de l'équivoque ; avec le texte de Joyce, vous pouvez découper à des endroits différents certains passages parce que ce sont pas des mots tels qu'on les trouve dans le dictionnaire, mais au niveau de la lettre il y a un découpage, c'est pour ça je vous demande, est-ce que vous pourriez nous dire ce passage où il dit justement les rapports entre lalangue et la lettre parce que la lettre est le seul élément vraiment discret, le seul élément vraiment discontinu dans lalangue…(inaudible 31’56)

Jean Brini : On déborde sur ce que je voulais vous proposer dans la suite. Mais je vais quand même essayer de retrouver la citation parce que ce que vous dites est extraordinairement lié à la question du continu. Il s'agit d'une citation de Hermann Weyl qui a écrit un bouquin sur le continu au début du XXe siècle et qui contestait le fait que le continu puisse être appréhendé à partir de ses éléments, c'est-à-dire que considérer les nombres réels par exemple mais aussi bien lalangue comme une collection d'éléments c'est-à-dire de considérer lalangue comme quelque chose qui se découpe en lettres et…

MG : … chez Saussure déjà, comment il dit : je la prends et je l'apprends (du verbe apprendre), on voit bien que même dans ces sons-là, on peut le découper de deux manières complètement différentes.

JB : Oui justement, Weyl va beaucoup plus loin que cela. Il dit, il souligne à un autre endroit que la reconstruction mathématique du continu à partir d'unités indivisibles – il appelle ça la conception atomique –, il dit : il y a des lettres, ça veut dire il y a des atomes…

X : C’est la conception de Démocrite. [JB : Hein ?] C'est Démocrite.

JB : … la conception de l'atome c'est-à-dire ce qui ne peut être divisé, au début du paragraphe Lacan nous parle du signifiant-unité. Il ne parle pas d'atome au sens de non, a-tome c'est ce qui ne peut pas être coupé, il ne parle pas de ça mais il parle quand même du signifiant-unité. Sa question, c'est toujours la même, comment ça se fait qu'il y a de l'Un, et comment ça se goupille cette affaire ? Alors, Hermann Weyl dit :

« La reconstruction mathématique du continu à partir d'unités indivisibles, sélectionne dans la bouillie fluante du continu, en quelque sorte, un tas : individuel. Le continu est émietté en éléments isolés et le fait de couler les unes dans les autres, qui est la caractéristique de toutes ses parties, – de couler les unes dans les autres, c'est-à-dire par exemple je l'apprends/ je la prends –, est remplacé par certaines relations conceptuelles qui reposent sur le plus grand plus petit entre ses éléments isolés »,

ça c'est la contestation par Hermann Weyl de la conception d’un continu conçu comme une collection d’éléments : pour lui le continu n'a pas d'éléments mais qui n'a que des parties ; et en fait je pose la question parce qu'on a déjà parlé de cela la dernière fois : quel imaginaire pourrait être relié à ça ? Eh bien c'est très simple, c'est la goutte. Est-ce que, quand j'isole une goutte dans mon verre d'eau, je peux la sortir la goutte, je peux prendre un compte-gouttes, je peux aspirer un peu d'eau et puis j'aurais des gouttes mais puis-je considérer que mon verre d'eau est une collection de gouttes ? Ben non. Puisque quand je remets ma goutte dans l'eau, elle se (comme on dit) dissout, elle disparaît. Et même si c'est une goutte d'encre que je rajoute à mon verre d'eau, eh bien pour la récupérer, ça va être coton, une fois que je l'aurai mise dans le verre d'eau. C’est-à-dire, voilà, une image du continu, c'est-à-dire de ce qui n'a que des parties mais qui n'a pas d'élément. Alors bien entendu, la physique moderne récupère cette affaire, en disant oui mais il y a les molécules d'eau. Et les molécules d'eau précisément c’est des individus que je peux compter, voir Avogadro et Cie. Je peux dire que dans mon verre d'eau, il y a quelque chose comme 10 « puissance 22 molécules ». Les molécules où si je me mêle de les diviser, ce ne sera plus de l’eau, je change la nature, si je me mêle de casser la molécule d'eau c'est-à-dire que je fais quelque chose comme un changement, même pas un changement d'état, pire, un changement de matériel. On peut dire qu'il y a une espèce de balance entre le continu et le discret, dans la physique, mais dans lalangue aussi, et Lacan, là encore c’est étonnant puisqu'il utilise une métaphore d'origine chimique puisqu'il dit que la lettre est un précipité, hein, un précipité !

Stéphane Renard (SR) : Alors si on prend votre exemple chimique, à partir des molécules d'eau, c'est la contiguité des molécules qui fait le continuum, et à ce moment-là la continuité…

JB : … la continuité ou la contiguïté ?

SR : La contiguïté. [JB : Je suis d'accord] Et à ce moment-là on se retrouve avec la structure de l'inconscient et des lettres qui sont contiguës les unes aux autres en formant continuité, continuum et donc avec lalangue.

JB : Alors les lettres sont-elles des gouttes ou sont-elles des molécules ? C'est ça la question qu'on peut se poser. Si c'est des gouttes, ça veut dire que c'est un découpage fluctuant qu'on peut en permanence rediluer et réordonner autrement, si c'est des molécules elles sont, j'allais dire objectivement isolables, sauf que jamais personne a jamais vu une molécule d'eau, c'est une construction.

SR : Encore qu’on peut le prendre dans l'autre sens, c'est-à-dire que les lettres étant contiguës, la contiguïté des lettres dans l'inconscient, c'est ce sur quoi on revient tout le temps, donc la contiguïté à l'intérieur de l'inconscient peut déterminer ce qu'il en est de lalangue et d'une continuité sans chercher à savoir si on focalise la lettre en étant dans une structure, disons moléculaire, ou dans une structure d'éléments, en gardant la lettre pour ce qu'elle est, c'est-à-dire l'élément le plus réel qui soit et dont la contiguïté, dont la somme des…, d’ailleurs on ajoute quelque chose, on complique un tout petit peu, mais dont la contiguïté permet de définir ce qui serait lalangue et ce qui serait l'inconscient. C’est-à-dire en fait la question c'est la question de la contiguïté de la lettre.

JB : Alors la question de la contiguïté de la lettre, là encore il y a toute une équipe qui travaille là-dessus depuis 20 ans, et notamment…, je ne sais plus quel est le nom de cette équipe mais je crois que c'est à Normale sup’ où ils travaillent sur la question de la méréologie, la science des voisinages. Je veux dire que le mot, quand je dis « ces 2 pièces sont contiguës » dans un appartement ou dans un immeuble, on va dire parce qu'elles ont une cloison commune, mais la cloison fait partie de quelle pièce ? Et c'est là que les ennuis commencent. C'est-à-dire que dire que deux lettres sont contiguës dans l'inconscient signifie qu'on les a déjà séparées, en tant que lettres, et c'est très exactement ce que dit Hermann Weyl, quand il dit « on a remplacé la bougie fluante du continu par un tas d'éléments – un tas, éventuellement non dénombrable hein, ça n’empêche, mais un tas éléments – dans lesquels on tente de reconstituer la bouillie fluante avec des relations « plus petit, plus grand ». Il me semble que ce que vous proposiez pour lalangue, à propos de la contiguïté des lettres, c'est très exactement ça. Pour pouvoir dire ces 2 lettres sont contiguës, il faut déjà les avoir différenciées. Et le continu précisément pour Hermann Weyl, c'est « on ne peut pas les différencier »

Lenoir : À l'époque de Weyl, au début du 20e, fin 19e, il y avait 2 courants en physique qui s'opposaient très violemment, c'est l'énergétisme et c'était l'atomisme. Donc il y avait des courants tout à fait officiels qui prétendaient qu'il n'y avait pas de parties insécables, qu'il n'y avait pas d'atomes [JB : Tout à fait, oui ?] jusqu'à ce qu'on arrive à isoler l'atome mais ça été relancé par la décomposition de l'atome en différents quarks etc. etc. ce qui fait que cette question de l'énergétisme où il n'y aurait pas de matière et puis les succédanés qu'on peut retrouver maintenant dans la théorie des cordes, la chose n'est toujours pas résolue [JB : absolument] est-ce qu'il y a des grains de matière, est-ce qu'il y a des grains, des particules isolables ou des petits morceaux isolables ou est-ce qu'il y a quelque chose d'un continuum ? La question n'est toujours pas clairement résolue.

Jean Brini : Ce qui est tout à fait extraordinaire c'est que Lacan ne prononce jamais le mot continu et il me semble que ce n'est pas par hasard, c'est-à-dire que quand il parle de lalangue on a très envie de dire que la lettre c'est un découpage et que la lettre c'est du discret que lalangue c'est du continu etc. on a très envie de faire ça et Lacan ne va jamais jusque-là. C'est tout près. Parce qu'un précipité par exemple, un précipité ce n'est pas des grains. Quand on fait une réaction chimique de précipitation, il n'y a pas des grains qui tombent au fond. Il y a juste quelque chose qui est un changement d'état, il y a du solide qui apparaît dans le liquide. Mais le solide n'est pas du tout organisé en grains. Donc la lettre dans ce cas-là, elle n'est pas strictement discrète, bien qu'elle ne puisse apparaître que, alors là je prends un terme de Weyl, dans la bouillie de lalangue. Mais on peut aussi se poser la question, c'est que lalangue elle-même n'est pas une bouillie complète, en ce sens que lalangue anglaise et lalangue française, ce n'est pas la même. Donc déjà dans lalangue il y a quelque chose qui ressemble à une structure sans en être une. Voilà, on n'a pas forcément des réponses.

... : Est-ce que ce n'est pas la clé de l'équivoque ?

PC : Quand même, là, il ne faut peut-être pas oublier à cet endroit, enfin la dimension métonymique aussi du terme précipité.

JB : Le terme métonymie n'apparaît pas là, enfin dans ce paragraphe-là.

PC : Mais le temps, la question du temps, parce que la précipitation dans le jeu de l'équivoque c'est aussi, il l'utilise d'ailleurs souvent comme ça : se hâter / la fonction de la hâte / la précipitation aussi dans la hâte, [JB : Ah bien je n'y avais pas pensé à celle-là ! La précipitation pour moi c'était un précipité chimique mais que ce soit la précipitation temporelle de la hâte, ça c'est…, ah voyez !], avec ces signifiants-là, avec le questionnement permanent de l'articulation au temps aussi, de Lacan, il me semble qu'on ne peut pas non plus dégager, on ne peut pas seulement être…, partir sur la dimension imaginaire de la métaphore, enfin. Il y a aussi la métonymie qui s'articule à ce moment-là dans le jeu de l'équivoque

EC : Ce serait intéressant de se dire que dans le même mot il puisse y avoir à la fois métaphore et métonymie, que ces 2 processus-là soient présents.

PC : Voilà. Dans le nouage et sur son côté écrit, même s'il ne le dit pas comme ça il y a quand même aussi l'articulation métonymique en même temps que la métaphore.

EC : Ça fait penser à comment il écrit l'instance de la lettre où ces 2 processus il les met en œuvre dans son écriture même en fait c'est [JB : Oui] Moi, j'avais une question, sur les lettres proprement dit, c'est toujours la lettre, « Aristote comme n'importe qui enfin se met à donner une idée de l'élément, il faut toujours une série de lettres, rhô, gamma, tau » et moi je me suis dit il y en a 3, et pensant à La lettre volée, je me suis dit pourquoi il n'y en a pas 4 ?

JB : je n'ai pas... Ah ! Si, si, si. C'est tout simplement parce que là où Aristote introduit des lettres, c'est dans le syllogisme, donc il y a homme, il y a mortel, il y a Socrate. Il y en a 3. Tous les A sont B, tous les B sont C, donc tous les A sont C.

Lenoir : Dans la transcription que j'ai, c'est : rhô, sigma, iota. R.S.I., qui nous parlent plus.

JB : Ah oui !

M de L : Ce n'est pas ça qui est dit dans l’enregistrement, c'est rhô, gamma, tau.

JB : Vous persistez sur le fait qu'il dit rhô, gamma, tau. [Oui] D'accord.

Je ne me souviens plus des lettres qu'emploie Aristote, je pense que c'est dans Les Premiers analytiques, quand il introduit des lettres, il me semble, comme il cite Aristote à la ligne précédente, comme Aristote quand il se met à donner une idée de l'élément, il lui faut toujours une série de lettres, il me semble que la référence c'est ça, est aux Premiers analytiques, et du coup, c'est pour ça qu'il y en a 3. Je ne vois pas d'autres possibilités mais bon. Enfin voyez, la question à laquelle on n'a pas accès plus loin, c'est-à-dire, bon là maintenant on est obligé, comment dire, de se retourner vers les gens qui réfléchissent à ça depuis des siècles, c'est la question entre le discret le continu et la question de lalangue, les signifiants, les lettres. Voilà. Sachant que dans le cas particulier ce qu'il dit c'est quand même important, c'est, bon, pour pouvoir dire, tel ensemble, je ne sais pas, par exemple l'ensemble des jours de la semaine a 7 éléments, il faut au préalable que nous ayons déjà accès à la lettre. Eh bien pour ça, il faut au préalable que nous ayons accès à la lettre, non pas à des lettres mais à la notion de lettre.

PC : mais c'est pour ça que la partie pour le tout, ça, ça vient bien articuler la question métonymique, même s'il ne le situe pas expressément à cet endroit-là, nous nôtre symptôme justement, mais c'est ça l'enjeu de l'écriture c'est peut-être qu'elle raccroche du côté de la métonymie parce que notre symptôme du côté de la métaphore c'est de partir sur le défilé des métaphores et des images, de la physique et de la chimie. Mais justement dans ce qu'il articule de la question de l'écriture, il y a quelque chose qui rabat logiquement sur la dimension métonymique et sur l'écriture même parce que c'est du nœud dont il nous parle et c'est de l'écriture du nouage aussi, le joint dont il parle avec la lettre c'est aussi la question du (?48’42) de l'objet, enfin c'est tout ça dont il nous parle.

JB : Est-ce que tu serais d'accord pour dire que, j'essaie de retrouver c'est dans La science et la vérité, où il y a la vérité comme cause et il y a les 4 causes d’Aristote et la psychanalyse serait du côté de la vérité comme cause matérielle, est-ce que tu serais d'accord pour dire que la métonymie serait du côté de la cause matérielle, c'est-à-dire de quelque chose qu'il appelle la matérialité stupide du signifiant par opposition à ce qui serait du côté de la métaphore avec un déploiement imaginaire. Est-ce que tu serais d'accord pour dire ça ? que la cause matérielle serait du côté de la métonymie, plutôt.

PC : Oui, du côté de la substance un peu.

JB : Voilà. Ce que Freud disait à sa façon quand il écrivait à Fliess "bon, il faut que je retourne au garde-manger", et ce qu'il appelait le garde-manger, c'est-à-dire l'armoire à provisions, c'était les rêves, l'inconscient, dans lequel il allait puiser ce qu’il appelait du matériel, du matériel au sens de matériau. Et là encore matériau, à nouveau, pour que je puisse aller le chercher, m'en emparer en tant que sujet il faut qu'il soit précipité en lettres, parce que de lalangue je ne peux rien m'emparer, au sens d'une jouissance juridique, je peux en jouir, j'ai la jouissance de cet appartement, j'ai la jouissance de cette lettre et donc je peux aller chercher cette lettre en tant que matériel, dans l'inconscient, dans l'armoire à provisions. Enfin bon c'est comme ça que je le voyais. On a encore 5 minutes.

« Ouais.

Donc que le signifiant soit posé par moi comme représentant un sujet auprès d'un autre signifiant, c'est la fonction qui s'avère de ceci, comme quelqu'un aussi l'a remarqué tout à l'heure, faisant quelque sorte frayage à ce que je puis vous dire, c'est la fonction qui ne s'avère qu'au déchiffrage qui est tel, que nécessairement c'est au chiffre qu'on retourne, et que c'est ça le seul exorcisme dont soit capable la psychanalyse, c'est que le déchiffrage se résume à ce qui fait le chiffre, à ce qui fait que le symptôme, c'est quelque chose qui avant tout ne cesse pas de s'écrire du réel, et qu'aller à l'apprivoiser jusqu'au point où le langage en puisse faire équivoque, c'est là par quoi le terrain est gagné qui sépare le symptôme de ce que je vais vous montrer sur mes petits dessins, sans que le symptôme se réduise à la jouissance phallique. »

Ça fait beaucoup de choses, c'est une seule phrase, je n'ai pas pu m'arrêter avant parce que c'est une seule phrase mais quand même, il me semble que ce paragraphe-là entre deux "Ouais", il sera nécessaire d'y revenir, en ce sens que le déchiffrage, dit-il, alors là, bon, représenter un sujet pour un autre signifiant c'est une fonction qui s'avère, et vous entendez la vérité, qui s'avère, c'est-à-dire qu'une fonction pourrait être parfaitement imaginaire, illusoire ; elle s'avère en ce sens qu'elle est vérifiable, quand il utilise le mot "avère" il renvoie à la vérité de sa formule. « C'est la fonction qui ne s'avère qu'au déchiffrage qui est tel, que nécessairement c'est au chiffre qu'on retourne », et ça c'est quelque chose qui est tout à fait connecté à la démarche de Freud dans Le mot d'esprit, en ce sens que, le mot d'esprit est divisé en 2 parties, partie analytique et partie synthétique, ensuite il y a la partie théorique. L'analytique, c'est quoi ? C'est : je veux savoir qu'est-ce que c'est un mot d'esprit, qu'est-ce que fait qu'un mot d'esprit en est un ? Pour faire ça, je vais procéder à la décomposition de ce mot d’esprit, jusqu'à ce que ça n'en soit plus un. Je vais l'expliciter, je vais mettre à plat, "famillionnaire", je vais regarder la technique, regardez l'intention. Je vais tout mettre à plat jusqu'à ce que ma mise à plat fasse disparaître le caractère de mot esprit. Et quand ça aura disparu, j'aurai peut-être réussi à attraper ce qui fait le mot d'esprit. Ça c'est la partie analytique, c'est-à-dire le déchiffrage, le dé-chiffrage, parce que le point de départ c'est quand même qu'un mot d'esprit, comme un rêve, comme un lapsus, c'est d'abord chiffré. Chiffré, il faut l'entendre au sens cryptographique hein ! C’est-à-dire, chiffré, au sens où il y a un code, il y a une mécanique, et une combinatoire qui a organisé la chose d'une matière littérale, une combinatoire littérale qui va organiser les choses, cette combinatoire littérale il faut que je la déchiffre pour arriver à faire valoir ce qui du mot d'esprit en fait un.

Mais ensuite, ensuite il y a la partie synthétique, c’est-à-dire la question : quel est le moteur du mot d'esprit ? Comment est-ce que ça se chiffre ? Qu'est-ce qui est à l'œuvre dans ce qu'il faut bien appeler un acte, qu'est-ce qui est à l'œuvre dans ce qu'il faut bien appeler "je fais un mot d'esprit" , il y a quelqu'un qui s'engage. Et c'est là que s'avère que le signifiant est ce qui représente un sujet, et c’est là qu'on aperçoit le sujet. Ce n'est pas dans le déchiffrage qui n'est rien d'autre qu'une mécanique combinatoire qu'on met au jour, qui détruit le mot d'esprit, il le dit lui-même, quand j'explicite le mot d'esprit, quand je le mets à plat, je ne sais plus quel est le terme exact qu'il utilise, mais il y a un aspect de dissociation, de défaire, de dénouer, dans l'espoir que dans le cours de ce dénouage j'aperçoive la quintessence. Mais ensuite, le signifiant c'est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant, le sujet, il est là, non pas au moment du déchiffrage, mais au moment du chiffrage. C'est ce sujet-là qui m'intéresse, celui par lequel jaillit le famillionnaire. Quelle idée géniale ! C'est pas sidération et lumière parce que ça c'est la tierce personne, la sidération et la lumière c'est celui qui entend le mot d'esprit, qui dit c'est quoi qui me raconte ? Ah bien oui, d'accord ! Et rire.

Mais celui qui chiffre c'est encore autre chose. Et c'est ce sujet-là qui est notre sujet, le sujet de l'inconscient. Voilà une première chose de la manière dont je l'entends, en ce sens qu'il dit c'est pour ça qu'il dit que le déchiffrage se résume à ce qui fait le chiffre, et le chiffre c'est ce qui fait le symptôme. Alors ensuite, je vais m'arrêter là parce qu'il est 10 heures, il y a l'autre partie qui concerne le nœud, « c'est que le déchiffrage se résume à ce qui fait le chiffre, à ce qui fait le symptôme, c'est quelque chose qui est avant tout ne cesse pas de s'écrire du réel ». Alors là on va avoir vous savez le schéma avec les cornes et où on voit que le symptôme dans le schéma de La Troisième, c'est ce qui, du réel, vient s'inscrire dans le champ du symbolique. On s'arrête et ensuite atelier de topologie, analyse non standard. Ça existe l'analyse non standard. Ça n'a rien à voir avec l'analyse.

Transcription : M. de Lagontrie

Relecture : Jean Brini

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[1] myriade (104) = 10 000

[2] une myriade de myriades, soit